L’Horizon Lumineux

 


L’Horizon Lumineux


Introduction


Lorsque l’humanité a levé pour la première fois les yeux vers les étoiles, elle n’y voyait qu’un ciel nocturne parsemé de points lumineux, de mythes et de constellations imaginées. Les siècles ont passé, et la soif de connaissance a poussé l’homme toujours plus loin, l’amenant à franchir les frontières de sa propre planète, puis de son système solaire. Les anciens récits de dieux et d’astres majestueux ont laissé place à des données scientifiques, des sondes, des télescopes… sans pour autant éteindre la lueur d’émerveillement dans chaque regard.


C’est à cet instant précis de notre aventure collective que les premières rumeurs ont surgi, murmurées par les rares cosmologues et spirituels visionnaires : quelque part, dans le vide interstellaire, s’ouvrait une Porte Lumineuse. Loin d’être un simple phénomène astronomique, elle représentait peut-être la manifestation d’une réalité plus vaste, à la croisée de la science et du sacré. Les légendes l’appelaient « l’Horizon Lumineux », une invitation faite aux âmes audacieuses, prêtes à s’élever au-delà de tout ce qu’elles croyaient connaître.


Dans les pages qui suivent, vous découvrirez comment un petit groupe de chercheurs, de mystiques et d’explorateurs a choisi de répondre à cet appel. Au fil de leur odyssée, ils seront confrontés à leurs propres peurs, à la splendeur cosmique et à des vérités qu’aucun livre, ni aucune équation, n’avait jamais pu expliquer. Cette histoire retrace à la fois un voyage à travers l’immensité des galaxies et un cheminement intérieur, car la traversée de l’inconnu n’épargne ni l’esprit ni le cœur.


Puissiez-vous, en lisant ces lignes, ressentir l’écho de ce qui nous pousse tous à tendre la main vers la lumière – cette curiosité profonde, ce besoin d’aller au-delà de nos frontières intérieures, et ce sentiment secret qu’il existe un endroit où l’homme, l’univers et la conscience ne font qu’un.



Prologue


L’observatoire spatial Calliope dérivait en silence à la lisière de la nébuleuse de Carina. Depuis plusieurs jours, l’équipe scientifique à bord enregistrait des données anormales : flamboiements inexpliqués, échos lumineux surgissant comme des pulses réguliers au loin. Au départ, on crut à une étoile variable ou à une émission résiduelle d’une supernova. Mais chaque nouvelle mesure écartait ces hypothèses.


Dans la salle de contrôle plongée dans une pénombre électrique, la chercheuse Mira Galen agrippa les bords de sa console en voyant s’afficher la dernière série de relevés. L’écran montrait un champ d’énergie se déployant en continu, d’une intensité nettement supérieure à tout ce qu’elle avait pu étudier jusque-là. Un silence d’abord incrédule s’installa, puis son assistant murmura, le regard rivé sur la fenêtre panoramique :


— On dirait… une ouverture.


Un frisson parcourut l’équipage. Dans l’obscurité du vide spatial, un halo doré palpitait, comme un cœur cosmique — discret mais terriblement puissant. Personne ne connaissait l’origine de cette émanation, ni ce qui se dissimulait au-delà. Les données suggéraient pourtant que ce n’était ni une singularité gravitationnelle, ni la manifestation d’une simple force stellaire. Quelque chose d’autre se jouait ici, échappant aux lois de la physique telles qu’on les connaissait.


Les jours suivants virent affluer vers l’observatoire de plus en plus de transmissions urgentes. Des émissaires de grands instituts, des représentants d’ordres spirituels, des visionnaires en quête de sens : tous voulaient en savoir plus. Les astronautes parlaient déjà d’un portail, d’un seuil, peut-être d’une transition entre deux réalités. La rumeur trouva bientôt un nom : l’Horizon Lumineux.


À bord du Calliope, les discussions s’animaient et l’étonnement côtoyait la fébrilité. On distinguait cette lueur intense depuis l’observatoire principal, à travers la vitre renforcée, comme un appel silencieux. Les silhouettes humaines, perdues dans l’immensité de l’espace, se tenaient là, en suspens, ignorant encore que cet événement allait changer à jamais leur propre conception de l’univers — et par-delà, celle de l’humanité tout entière.



Chapitre 1 : L’Appel


1. Les ombres de la Terre

Mira Galen se tenait devant la grande baie vitrée du Centre Aérospatial Hélios, scrutant un ciel nocturne dont l’obscurité semblait plus profonde que jamais. À l’intérieur de ce vaste complexe scientifique, tout n’était que clarté : couloirs immaculés, lumière artificielle, écrans de contrôle bourdonnants. Pourtant, il lui suffisait de poser le regard sur l’extérieur pour ressentir le vertige de l’infini. Elle venait tout juste de rentrer d’une mission sur l’Calliope, et même si elle avait déjà troqué la cabine exiguë de l’observatoire pour le confort d’une station au sol, elle ne parvenait pas à se départir d’une étrange angoisse. Une partie d’elle était restée, là-bas, dans l’obscurité cosmique.


Les lumières urbaines de la mégapole voisine se découpaient en contrebas, nimbant le paysage d’un halo orangé. Cette visibilité, elle l’avait autrefois trouvée rassurante : les lampadaires, les phares, le scintillement des immeubles rappelaient la vie, le mouvement humain. À présent, ces rais de lumière lui paraissaient ternes, éphémères, presque dérisoires face à la lueur d’or qu’elle avait brièvement aperçue depuis l’observatoire spatial. Cette lueur qui défiait toutes les lois de la physique qu’elle connaissait.


— Docteure Galen, vous êtes certaine de vouloir poursuivre la divulgation de vos résultats ? lui demanda une voix grave derrière elle. C’était Victor Hansen, directeur adjoint du Centre, qui observait son dos voûté par l’inquiétude.

— Je n’ai pas le choix, répliqua Mira sans se retourner. Les relevés sont irréfutables. Toute nouvelle donnée pouvant faire progresser notre compréhension de l’univers doit être partagée… Et ce que j’ai trouvé n’a rien de normal.


Elle se souvenait encore du silence sidéral, troublé soudain par la détection de cette pulsation inconnue. Ni étoile variable, ni rémanent stellaire. Une émission d’énergie inédite, sur un spectre qu’aucun détecteur n’avait jusque-là relevé. Malgré elle, Mira en avait ressenti un frisson quasi mystique. Les analyses qu’elle venait de transmettre à Hélios soulignaient la probabilité – certes dérangeante – d’une « faille » dans l’espace-temps. Certains y verraient un simple phénomène astronomique rarissime. D’autres, plus audacieux, commenceraient à parler d’un passage entre deux réalités.


Dans les couloirs, son retour avait fait du bruit. D’ordinaire, Mira était considérée comme fiable, méthodique et peu encline au sensationnalisme. Pourtant, aujourd’hui, elle se retrouvait à défendre des données qui semblaient incroyables aux yeux du monde. Elle sentait, dans les regards de certains collègues, l’ébauche d’un scepticisme gêné – comme s’ils avaient peur de devenir, à leur tour, la cible de moqueries ou de controverses. Les ombres de la Terre ne désignaient pas seulement la nuit qui s’étendait dehors, mais aussi tous ces doutes, ces peurs et ces limites que l’être humain projetait sur ce qu’il ne comprenait pas.


— Victor, je ne sais pas si nous sommes prêts à entendre la vérité sur l’Horizon Lumineux. Mais nous devons au moins essayer de comprendre.

— Je vous soutiendrai, répondit-il, le ton plus doux que jamais. Nous devons avancer, quitte à ce que notre vision de l’univers en soit bouleversée.


Un long silence s’installa. Les bruits de pas, un peu plus loin, annonçaient l’arrivée d’autres chercheurs, venus connaître les dernières nouvelles. Dans ce flot de lumières artificielles, Mira songea à la façon dont ce phénomène cosmique pourrait remettre en question leur rapport à la connaissance, au temps, à l’inconnu. Elle eut une pensée fugace pour l’équipage qu’elle avait laissé sur le Calliope : qu’avaient-ils perçu depuis son départ ? Les signaux continuaient-ils à s’intensifier, appelant silencieusement l’humanité à tendre la main vers un mystère plus grand qu’elle ?


— Docteure Galen ! lança un technicien, surgissant à l’angle du couloir. Les relevés sont disponibles. Il y a… quelque chose de nouveau.


Le cœur de Mira bondit. Sans attendre, elle jeta un dernier regard vers la nuit, comme pour recueillir une force extérieure. Derrière la surface vitrée, les contours de la ville semblaient s’évanouir dans l’obscurité, et l’immensité spatiale reprenait ses droits. Elle se détourna, prête à rejoindre la salle de contrôle. Les ombres de la Terre avaient déjà commencé à reculer, dans l’attente de la lumière dorée qui pourrait, tôt ou tard, révéler leur nature profonde.


2. Le chuchotement médiatique

À l’autre bout de la mégapole, dans la rédaction de la chaîne d’information continue TBN24, une fébrilité sans précédent régnait. Les bureaux, normalement calmes en cette fin de soirée, s’agitaient dans un tumulte de conversations téléphoniques et de cliquetis de claviers. L’annonce, tombée il y a à peine deux heures, évoquait l’existence d’un phénomène cosmique inédit que des chercheurs du Centre Aérospatial Hélios semblaient prendre très au sérieux. Et surtout, d’après les fuites, il ne s’agissait pas d’une simple curiosité céleste.


— La direction veut un spécial, tout de suite ! hurlait un producteur à moitié debout sur sa chaise, tentant d’attirer l’attention de ses journalistes.

— Mais on n’a que des infos parcellaires, protesta une jeune reporter, les yeux rivés sur son écran saturé d’actualisations. On ne sait pas encore s’il est question d’un trou noir, d’une distorsion spatiale ou d’un délire total…

— On s’en fiche, enchaîna le producteur, tout le monde en parle déjà sur les réseaux sociaux. Les gens veulent des explications, des hypothèses, des théories, même folles ! On est en retard !


Une fébrilité presque électrique parcourait la rédaction. Certaines journalistes se ruaient sur leurs téléphones pour contacter des spécialistes en astrophysique, d’autres consultaient les archives afin de dénicher la moindre référence à ce mystérieux « Horizon Lumineux ». Un hashtag avait déjà surgi parmi la communauté ésotérique en ligne : #GatewayToBeyond. Comme souvent, Internet se chargeait de mélanger les faits, la spéculation et les fantasmes en un kaléidoscope déconcertant.


Sur un coin de table, un rédacteur vérifiait l’historique des anciennes découvertes astronomiques, listant à la hâte les différents phénomènes auxquels on avait déjà prétendu donner une explication surnaturelle : supernovae, sursauts gamma, nébuleuses planétaires. À chacune de ces occurrences, on avait vu fleurir des théories de la fin du monde, des prédictions d’invasion extraterrestre, ou encore des prophéties millénaristes. Qui pouvait dire si cette fois-ci était différente ?


— Oui, bonsoir professeur ! Oui… oui, je vous entends, fit une journaliste au téléphone en se bouchant l’oreille gauche du doigt. Attendez, vous dites qu’il s’agirait d’un… d’un pont inter-dimensionnel ? Mais c’est de la pure spéculation, non ?


Dans la salle de pause transformée en régie improvisée, des écrans affichaient déjà de premiers directs. Le visage d’une présentatrice, la mine grave, s’exprimait devant un fond d’étoiles animées en 3D :


« … Les premières informations en provenance du Centre Aérospatial Hélios indiquent la détection d’un champ énergétique d’une amplitude exceptionnelle. On ignore s’il constitue une menace ou, au contraire, une opportunité de découvertes majeures. Reste à savoir si ce que certains surnomment déjà l’“Horizon Lumineux” n’est pas qu’une exagération médiatique… »


Le son retomba brusquement quand l’écran bascula sur la publicité. La pièce se vida partiellement, chacun reprenant sa course contre la montre pour préparer le prochain bulletin. Parmi ce brouhaha, personne ne remarqua l’analyste scientifique freelance, Hayden Sullivan, qui observait la scène depuis l’ombre d’un couloir. Il venait d’arriver, appelé en urgence par la chaîne pour fournir un éclairage technique. Ce qu’il voyait ne le surprenait qu’à moitié : il connaissait le mode opératoire des médias, et savait que la pression pour sortir un scoop primait bien souvent sur la rigueur.


Hayden sortit de l’ombre, la mallette de son ordinateur en bandoulière, et se dirigea vers la rédaction centrale. Il franchit la porte vitrée et fut aussitôt assailli par l’ambiance électrique :

— Sullivan ? Vous tombez bien ! fit une attachée de presse en lui tendant un dossier. Tenez, on a regroupé tout ce qu’on sait. Vous montez en plateau dans dix minutes pour un décryptage.


Les sourcils de Hayden se froncèrent légèrement, et il glissa un regard sur la liasse de feuilles. La plupart des données semblaient puisées sur des forums ou récupérées à la hâte. Pourtant, certaines informations provenaient bien de l’équipe de Mira Galen, dont il avait récemment reçu un message crypté. Il retint son souffle : les graphiques, trop flous pour la plupart des journalistes, révélaient pourtant une intensité anormale, comme si la réalité se pliait autour d’un point précis dans l’espace.


— Dix minutes, répéta-t-il en soupirant, conscient qu’il lui faudrait surtout calmer les suppositions extravagantes.


Autour de lui, la fièvre médiatique montait. Sur un moniteur, un invité invité d’une autre chaîne déclarait déjà que ce phénomène pourrait être « une forme de communication extraterrestre », tandis qu’un pseudo-expert ésotérique, sur un autre plateau, parlait de « prophéties stellaires annoncées depuis la nuit des temps ». Hayden secoua la tête. La vérité était peut-être plus subtile, plus dérangeante aussi, que tout ce que l’on pouvait imaginer.


C’était précisément cette vérité que Mira Galen cherchait à faire entendre. À la simple pensée de son appel, Hayden sentit une bouffée d’adrénaline le traverser. Au-delà des échos médiatiques, il pressentait l’importance réelle de cette découverte. Car si la physique traditionnelle ne suffisait pas à l’expliquer, un nouveau chapitre de l’histoire cosmique s’ouvrait peut-être sous leurs yeux… et l’humanité, habituée à mettre toutes choses dans des cases, n’était pas encore prête à s’y confronter.


— Vous, là ! appela le producteur en surplomb. C’est vous, Sullivan ? Vous êtes en direct dans huit minutes maintenant, sur le plateau 2 !


Hayden rangea les feuilles sous son bras et traversa la salle d’un pas assuré, jetant un dernier regard aux écrans multiples. Un frémissement lui parcourut l’échine : quelque chose, dans cette agitation fébrile, ressemblait à un signal d’alarme collectif, comme si les esprits sentaient qu’un point de bascule était en train de se produire. Il prit alors une longue inspiration, prêt à affronter la caméra. Dans ce tumulte, « l’Horizon Lumineux » n’était plus seulement un fait scientifique : c’était un murmure grandissant, un chuchotement médiatique qui allait bientôt résonner aux quatre coins de la planète.


3. Premières rencontres

Plus tard dans la même semaine, une conférence improvisée fut organisée au Centre Aérospatial Hélios. Les corridors habituellement calmes, dédiés aux colloques savamment préparés, résonnaient cette fois du brouhaha d’une foule éclectique : astrophysiciens, journalistes en mal de nouvelles sensationnelles, étudiants exaltés, mais aussi quelques figures inattendues, comme des représentants d’organisations spirituelles.


Mira Galen, vêtue d’une simple veste de tailleur sombre, fit de son mieux pour garder une contenance. Son retour de l’Calliope avait suscité un intérêt démesuré, bien plus que tout ce qu’elle avait pu connaître avant. Tandis qu’elle traversait la grande salle circulaire, elle se rappelait les propos rassurants de Victor Hansen :

— Présentez vos découvertes, répétez les faits, et laissez la vérité parler d’elle-même.


Cette vérité, Mira l’avait condensée en un court exposé. Dans son porte-documents se trouvaient les spectrogrammes, les relevés d’intensité, et surtout ce qu’elle appelait “la signature énergétique”. Elle repéra vite Hayden Sullivan dans l’assistance : l’analyste scientifique, la mine concentrée, consultait déjà des feuilles remplies de chiffres qu’il avait dû recevoir plus tôt. Le regard de Mira croisa le sien ; elle devina une curiosité teintée de détermination.


— Docteure Galen, nous ne nous sommes jamais rencontrés, lança-t-il d’une voix posée en s’approchant d’elle. Je suis Hayden Sullivan. J’ai examiné vos relevés… et je dois dire que votre découverte, si elle se confirme, pourrait bien révolutionner tout ce que nous savons de l’astrophysique.

— Ravie de vous rencontrer, répondit Mira en lui serrant la main. Votre analyse critique sera plus que bienvenue.


Ils n’eurent pas le temps d’échanger davantage : un adjoint de Victor Hansen les conduisit vers la tribune où quelques participants prenaient déjà place. Parmi eux, une femme aux longs cheveux noirs, vêtue d’une robe sobre, semblait intriguer plusieurs personnes autour d’elle. Mira l’observa, frappée par son calme dans le tumulte ambiant.


— C’est Naïra Savel, chuchota Hayden à l’oreille de Mira, comme s’il avait deviné sa curiosité. Une émissaire d’un ordre spirituel qui étudie les phénomènes cosmiques d’un point de vue mystique. On m’a dit qu’elle avait eu… disons, une intuition avant que vos relevés ne soient publiés.


Avant que Mira ne puisse en savoir plus, un technicien lui fit signe qu’il était temps de commencer. Les gens s’installèrent tant bien que mal, tandis que plusieurs caméras se braquaient sur l’estrade. Mira s’empara du micro et entama sa présentation. Les premiers diapositives défilaient : photographies de l’espace depuis l’Calliope, schémas de ce qu’elle nommait « l’Horizon Lumineux », valeurs chiffrées de pulsations lumineuses. Chaque diapo suscitait chuchotements et exclamations étouffées.


— Comme vous pouvez le constater, dit Mira en désignant un point précis sur la carte stellaire, la zone concernée se situe près de la nébuleuse de Carina. Les fluctuations enregistrées sortent du cadre de la physique habituelle. Aucun de nos modèles ne les anticipe.


Le silence tomba lorsqu’elle montra les premiers graphiques de l’activité énergétique. Une ligne sinusoïdale croissait, marquée de pics intenses, comme si une force tentait de percer la surface de l’espace.


— Nous ignorons encore la nature exacte de ce phénomène, conclut Mira, la voix légèrement tremblante. Mais il est trop singulier pour être ignoré.


Dans la salle, un feu roulant de questions fusa immédiatement. Certains, incrédules, lui demandèrent s’il ne s’agissait pas d’une supercherie médiatique. D’autres, plus exaltés, la pressaient de parler de « porte dimensionnelle » ou de « passage intersidéral ». Au milieu de cette agitation, Hayden prit la parole pour clarifier les aspects scientifiques, confirmant les dires de Mira.


C’est alors que Naïra Savel se leva lentement, levant une main pour demander la parole. D’un ton calme, elle formula une question qui fit taire tout le monde :

— Docteure Galen, vous avez mentionné la possibilité que la structure même de l’espace se plie autour de ce point. Pensez-vous que cela puisse impliquer… un autre niveau de réalité, un plan au-delà du nôtre ?


Dans l’auditoire, un murmure parcourut les rangs. Mira soutint le regard perçant de Naïra, cherchant la meilleure réponse possible. Car, pour la première fois, on lui posait à voix haute la question qu’elle n’osait elle-même à peine formuler : celle d’une véritable ouverture vers l’inconnu.


Et, tandis que toutes les caméras se braquaient sur elle, Mira sut que ce jour marquait un tournant. L’ “Horizon Lumineux” venait de franchir la frontière du domaine purement scientifique pour pénétrer celui, plus insondable encore, de la foi et de la conscience. Et, autour de cette tribune, ses principaux acteurs — Hayden, Naïra, et elle-même — étaient désormais réunis, sans savoir à quel point leurs destins allaient s’entremêler.


4. L’élément déclencheur

Le lendemain de la conférence, une tension palpable régnait dans le grand hall d’Hélios. Les couloirs habituellement destinés à la recherche se transformaient presque en un centre d’opérations. Des écrans géants affichaient en temps réel les données provenant de l’Calliope : courbes énergétiques, relevés spectrographiques, images floutées d’une zone stellaire vibrante. Partout, des gens circulaient, la mine inquiète ou captivée.


Mira Galen, après une courte nuit blanche, était installée devant une console centrale. Les bras croisés, elle tentait de faire le point avec Hayden Sullivan et Naïra Savel, debout de chaque côté d’elle. Tous trois examinaient un nouveau jeu de données envoyé par le commandant Martinez, resté à bord de l’observatoire spatial.


— Vous voyez ce pic ? demanda Mira, en désignant une ligne rouge qui grimpait en flèche. Ça dépasse de loin la variance qu’on avait enregistrée jusque-là.

— C’est comme si le phénomène s’ouvrait davantage, commenta Hayden d’un ton pensif. Ou qu’il… pulsait avec plus d’intensité.


Naïra parcourait du regard les chiffres qui défilaient sur l’écran. Même sans être experte en astrophysique, elle distinguait clairement la hausse soudaine des valeurs. À chaque seconde, les signaux se faisaient plus denses, comme si un cœur cosmique s’emballait au sein de cette mystérieuse faille.


— Avez-vous reçu un nouveau message du Calliope ? demanda Naïra.

— Juste un bref communiqué, répondit Mira. Ils viennent de réussir à approcher la zone de quelques milliers de kilomètres supplémentaires. Mais l’environnement devient instable : variations gravitationnelles, fluctuations électromagnétiques… Martinez a dû reculer pour ne pas mettre l’équipage en danger.


Un silence s’installa, chacun prenant la mesure de ce que cela signifiait. Non seulement l’Horizon Lumineux existait, mais il se montrait changeant, potentiellement dangereux. Au milieu de l’angoisse que pouvait susciter ce constat, Mira ressentit malgré tout un frisson d’excitation. Jamais, de sa carrière, elle n’avait été confrontée à un tel défi. C’était comme découvrir une porte entrouverte, menant peut-être vers un territoire inconnu de la science.


Victor Hansen, le directeur adjoint du Centre, arriva brusquement, un téléphone portable à la main. Son visage fermé trahissait un mélange de nervosité et d’enthousiasme.

— On vient de parler avec l’Agence Spatiale Internationale, annonça-t-il à haute voix. Ils exigent plus de données avant de prendre des décisions. Les médias, eux, hurlent qu’il faut monter une expédition pour documenter ce “portail”. D’autres veulent au contraire qu’on interdise toute approche, par crainte d’un risque majeur.


Il tourna son regard vers Mira, Hayden et Naïra :

— Le conseil d’administration va délibérer dans la soirée. Mais si vous voulez mon avis, c’est maintenant ou jamais qu’on doit agir. Ce phénomène prend de l’ampleur, et personne ne sait combien de temps il va durer ni même ce qu’il est.


Les trois protagonistes échangèrent un regard. Il planait autour d’eux l’impression qu’ils étaient à un carrefour décisif. Mira, la première, formula tout haut la question qui brûlait sur leurs lèvres :

— Si l’Horizon Lumineux disparaît avant qu’on ait pu l’étudier de près, on risque de passer à côté de la plus grande découverte de ce siècle.


Hayden acquiesça, l’expression déterminée :

— Je peux proposer un plan de mission en collaboration avec l’équipe du Calliope. On dispose déjà d’un petit vaisseau d’observation, le Stella Argus, équipé pour des analyses de proximité.


Naïra, qui écoutait en silence, prit la parole d’une voix calme :

— Je crois que ce phénomène ne relève pas seulement de la physique. J’ai passé des années à chercher ce que d’anciennes traditions nomment “la Brèche dorée”, un passage spirituel vers un autre plan. Je ne suis pas scientifique, mais je suis convaincue que ce que vous appelez “Horizon Lumineux” pourrait bien s’en approcher.


Un instant, l’assemblée sembla suspendue à ses mots. Hayden et Mira, pourtant cartésiens, sentirent un frisson les parcourir. Si le phénomène défiait leurs modèles, il n’était pas absurde de penser qu’il puisse relever d’une réalité plus vaste, englobant autant la science que l’esprit.


— J’ai besoin de vous deux, déclara Mira avec une gravité certaine. Hayden, vous êtes un atout technique indispensable. Naïra, vos connaissances dans d’autres champs pourraient nous éclairer quand nous serons sur place.


— Sur place ? répéta Victor Hansen, l’air surpris. Vous songez à vous rapprocher de la zone vous-mêmes ?

— Oui, confirma Hayden, fronçant légèrement les sourcils. Ce n’est pas sans risque, mais c’est la seule manière d’obtenir des données directes et de tester les hypothèses.


Le silence pesa de nouveau. À travers les baies vitrées du Centre, on distinguait l’aube qui se levait sur la mégapole. Dans la lumière naissante, on voyait les silhouettes métalliques des installations d’Hélios. Cette journée serait décisive : d’ici peu, un choix allait être fait — s’engager dans l’inconnu ou renoncer.


Finalement, Victor Hansen hocha la tête avec lenteur :

— Je ferai de mon mieux pour vous soutenir. Les hautes instances voudront probablement vous mettre des bâtons dans les roues, mais si vous êtes prêts à prendre la responsabilité de cette expédition, je tâcherai de trouver des financements et un créneau de lancement.


Mira, Hayden et Naïra échangèrent un regard complice. Malgré leurs différences, chacun sentait l’appel impérieux d’une découverte aux proportions inimaginables. L’Horizon Lumineux prenait de l’ampleur, et son signal pouvait s’éteindre à tout moment. C’était maintenant ou jamais.


À la fois fébriles et déjà unis par cet objectif, ils savaient que leur décision scellerait la suite de leur aventure. Aux portes d’un mystère cosmique, ils venaient de recevoir l’élément déclencheur qui les propulserait, tôt ou tard, vers l’ultime frontière.


5. Vers le voyage

Il ne fallut pas plus de vingt-quatre heures pour que l’appareil médiatique et les instances officielles mettent Hélios sous pression. Tandis que plusieurs responsables politiques tempêtaient contre l’idée de risquer la vie d’astronautes, d’autres voyaient déjà dans cette expédition une opportunité d’envergure pour l’humanité. Le plus surprenant, cependant, fut l’afflux de soutiens provenant de fonds privés prêts à financer une mission d’approche vers le phénomène.


Dans l’un des laboratoires adjacents à la salle de contrôle, Mira, Hayden et Naïra s’affairaient autour d’une table couverte de plans et de notes numériques. Le Stella Argus, un petit module d’observation autonome, se présentait sur un écran tactile sous tous les angles.


— Sa capacité est limitée à quatre ou cinq personnes, expliquait Hayden, effleurant la carlingue virtuelle du doigt. Il est équipé d’instruments de mesure poussés et d’un bouclier énergétique de dernière génération. Parfait pour une approche rapide, mais trop exigu pour un long séjour.


Mira fronça les sourcils :

— On devra s’assurer que tout le matériel de détection rentre à bord, y compris notre système d’analyse en temps réel. Quitte à faire des compromis sur le confort, je suppose…


— De toute façon, ajouta Naïra, le but n’est pas de s’installer là-bas, mais de franchir la distance nécessaire pour observer l’Horizon Lumineux de près, comprendre sa nature… et revenir, si possible.


Les trois se taisaient souvent sur ce “si possible”, tant il était évident que l’inconnu recelait des dangers imprévisibles. Mais nul ne semblait prêt à renoncer.


Alors qu’ils finalisaient la liste du matériel, un technicien entra dans le labo, un grand sourire aux lèvres :

— Bonnes nouvelles ! Le Conseil a donné son feu vert, du bout des lèvres, mais c’est officiel : vous partez dans quarante-huit heures vers la station orbitale d’Hélios III. De là, vous rejoindrez l’Calliope pour ravitailler et transférer l’équipage nécessaire dans le Stella Argus.


— Quarante-huit heures ? répéta Naïra, un brin surprise. C’est si rapide ?

— Les relevés de ces dernières heures montrent que le phénomène gagne toujours en intensité, expliqua le technicien. Le Commandant Martinez pense qu’on a peut-être une fenêtre d’observation idéale qui ne se représentera pas avant longtemps… voire jamais.


Mira hocha la tête, consciente de l’ampleur de la préparation à fournir en si peu de temps. Mais un sentiment d’urgence, mêlé d’exaltation, gagnait désormais tout Hélios. Les couloirs bruissaient de rumeurs et de spéculations : certains parlaient d’un portail, d’autres d’une singularité ; d’autres encore évoquaient un “saut quantique” qui pourrait bousculer la compréhension même de la réalité.


— Allons faire un dernier brief avec Victor Hansen, proposa Mira, se levant d’un bond. J’ai besoin de ses recommandations finales pour l’approche.


Hayden et Naïra la suivirent. Sur le chemin, ils croisèrent quelques têtes connues de la conférence de la veille. Des chercheurs lançaient des encouragements, des ingénieurs leur emboîtaient le pas avec des tablettes remplies de calculs, et même quelques figures plus discrètes — adeptes d’ordres spirituels — leur adressaient un signe respectueux. La rumeur courait qu’une “alliance inédite” de la science et de la foi prenait forme autour du mystère de l’Horizon Lumineux.


Lorsqu’ils arrivèrent dans le bureau de Victor, la fébrilité ambiante s’y était installée aussi. Des plans d’itinéraires, des projections de trajectoires vers la nébuleuse de Carina, et même des estimations d’effets possibles sur la structure moléculaire des vaisseaux jonchaient la grande table centrale.


— Vous voici, dit-il en balayant l’assemblée du regard. J’espère que vous êtes prêts à faire face à l’inconnu, car dès demain, vous ne pourrez plus reculer.


— Nous sommes prêts, confirma Mira. Nous devrons affronter nos peurs, mais c’est le sens même de la recherche, non ?


Naïra, restée en retrait, prononça ces mots qui résonnèrent comme un mantra :

— À chaque grande étape de l’humanité, il a fallu un acte de foi et un saut dans l’incertitude. La découverte de nouveaux mondes, l’ascension vers l’espace… et maintenant, ce voyage vers ce qui pourrait être un autre niveau de réalité.


Hayden approuva silencieusement. Il savait que malgré la technologie et les nombreuses simulations, personne ne pouvait prédire ce qui se passerait réellement au contact direct de l’Horizon Lumineux. Demeurait l’espoir qu’une fois sur place, leur esprit analytique comme leur intuition sauraient répondre aux interrogations.


Victor leur remit en main propre les autorisations officielles, signées à la hâte par plusieurs instances.

— Vous décollerez à l’aube, direction Hélios III pour un ultime ravitaillement. Ensuite, ce sera à vous de jouer, là-haut.


Ses yeux, d’ordinaire sévères, brillaient d’une émotion contenue. Il avait soutenu cette aventure, malgré les risques et les pressions, parce qu’il sentait que le temps était venu de percer un mystère qui défiait toutes leurs connaissances.


Dans un mélange d’enthousiasme et de gravité, Mira, Hayden et Naïra quittèrent le bureau. Ils avaient devant eux la nuit pour tout préparer, régler chaque détail… et aussi, sans doute, pour faire face à leurs propres doutes. Car à l’aube, quand ils monteraient à bord du vaisseau en direction de l’Horizon Lumineux, ils franchiraient un seuil irrémédiable. Et dans le fracas du décollage, l’humanité tout entière, peut-être, entamerait un nouveau chapitre de son histoire.



Chapitre 2 : Le Départ et le Pèlerinage


1. L’ascension vers Hélios III

L’aube nimbait la base spatiale d’une clarté encore hésitante lorsque Mira Galen s’approcha du Stella Argus. Le vaisseau, d’un blanc étincelant, semblait à la fois frêle et redoutablement sophistiqué, comme une pointe de flèche prête à fendre l’atmosphère. Autour d’elle, les préparatifs allaient bon train : des techniciens couraient entre les rampes, vérifiaient les derniers branchements et hurlaient des indications dans leurs micros-casques. Le compte à rebours s’affichait déjà sur l’un des écrans extérieurs, impassible et implacable.


— Tout est en place, Docteure Galen, l’informa l’un d’eux, un certain Ayo qui avait suivi le projet de près. Vous montez à bord dès que le feu vert sera confirmé.


Mira hocha la tête, la gorge nouée par un mélange de tension et d’excitation. Derrière elle, Hayden Sullivan vérifiait fébrilement une check-list technique sur sa tablette. Il s’enquit à voix haute du niveau de carburant, de la pression dans les réservoirs d’oxygène, des paramètres de navigation programmés pour rejoindre la station orbitale Hélios III. Plus loin, Naïra Savel demeurait en retrait, le regard levé vers la masse imposante du vaisseau. À ses côtés, quelques membres de l’équipage — ingénieurs, scientifiques et un pilote expérimenté — échangeaient des mots sobres, comme s’ils craignaient de briser le silence matinal.


— Vous partez sans aucune crainte ? demanda Naïra à Mira, tout bas.

— J’ai des doutes, avoua cette dernière, mais pas de regret. Chaque étape nous rapproche de ce que nous devons accomplir.


Sur l’aire de lancement, des écrans diffusant les images en direct montraient déjà l’effervescence à Hélios III. La station orbitale se préparait à accueillir l’équipe : il leur faudrait y faire une escale afin de s’arrimer au Calliope et récupérer le matériel de détection le plus récent. Les photos du phénomène cosmique, prises la veille, laissaient entrevoir une intensité lumineuse inédite, comme si l’Horizon Lumineux s’élargissait d’heure en heure.


— Commandant Martinez est prêt à nous accueillir dès notre arrivée, annonça Hayden, le nez plongé dans la tablette. Il recommande un minimum de marge de manœuvre : une fois sur place, on aura peu de temps pour transférer tout l’équipement et repartir vers la nébuleuse.


Mira acquiesça, consciente de l’urgence. Elle tapota l’épaule de Naïra pour l’inviter à monter la rampe d’accès. Un technicien aida la mystique à sangler son sac de voyage, où quelques ouvrages religieux et carnets de note côtoyaient des outils d’analyse high-tech. Un symbole parfait de la double dimension — science et foi — qui imprégnait désormais leur mission.


Au moment de pénétrer dans le sas du Stella Argus, Mira jeta un dernier regard vers la baie vitrée où se tenait Victor Hansen. Derrière la vitre, il leur adressa un signe d’encouragement, les traits de son visage plus graves que jamais. Depuis cette distance, Mira ne pouvait distinguer les paroles qu’il formait, mais elle sut qu’il leur souhaitait bonne chance et qu’il comptait sur leur détermination.


Le sas se referma dans un chuintement pneumatique. L’intérieur du vaisseau était fonctionnel, presque spartiate : des panneaux de contrôle illuminés, des sièges moulés pour supporter l’ascension, et un cockpit où s’affairait déjà le pilote chargé de mener la première phase. Les passagers prirent place, arrimant solidement leurs harnais, tandis qu’un compte à rebours se mettait à défiler sur les écrans intégrés.


— Bienvenue à bord, annonça une voix dans les haut-parleurs. Décollage dans trois minutes. Veuillez vérifier vos sangles et préparez-vous à l’ascension vers Hélios III.


La tension se fit palpable. Les respirations s’accélérèrent, même chez ceux qui avaient déjà connu le grand saut vers l’espace. Mira, le cœur battant, ferma un instant les yeux. Les secondes s’égrenaient trop vite, si bien qu’elle eut à peine le temps de calmer son souffle lorsque la fusée porteuse s’activa. Un grondement sourd gagna en intensité, faisant vibrer la carcasse du Stella Argus.


— Ici Contrôle-Terre, feu vert pour le lancement, résonna une voix dans le cockpit. Bonne chance.


Le vaisseau s’ébranla, puis s’arracha à la gravité terrestre dans un rugissement assourdissant. Les corps plaqués contre les sièges, le paysage se brouillait derrière les hublots, se muant en un tourbillon de couleurs vives et de fumée qui laissait place à l’azur du ciel. Quelques instants plus tard, l’Argus transperça la couche atmosphérique, et les nuages cédèrent la place au vide scintillant de l’orbite basse.


Lorsque l’accélération diminua, Mira prit une profonde inspiration, le regard tourné vers le hublot latéral. Là, en contrebas, la Terre se présentait déjà sous la forme d’une vaste courbe bleutée, marbrée de nuages. Un sentiment de vertige et de fierté l’envahit : malgré toute la fatigue, les peurs et les incertitudes, ils avaient franchi le premier pas.


— Prochaine étape, Hélios III, lança Hayden, la voix encore un peu tremblante d’émotion. Puis on retrouvera le Calliope et le chemin vers la nébuleuse s’ouvrira enfin à nous.


Naïra acquiesça en silence. Ses yeux sombres fixaient la sphère terrestre, un mélange de gratitude et de gravité s’y lisant. Elle comprenait qu’en quittant ainsi leur monde, ils dépassaient peut-être bien plus que la simple force de gravité. Dans le grondement résiduel des propulseurs, elle perçut une lointaine résonance : l’écho d’un appel cosmique, celui qui avait guidé chacun d’eux hors de ses certitudes, hors de sa zone de confort, pour suivre la lumière dorée qui palpitait, loin de là, vers la nébuleuse de Carina.


Le Stella Argus mit le cap sur Hélios III, entamant une série de manœuvres orbitales précises. Bientôt, la station apparut dans le champ de vision frontal, ses modules géodésiques scintillant au soleil. Dans ce décor sidéral, l’équipe ressentait déjà le poids de sa mission. Derrière eux, la Terre s’éloignait lentement ; devant, l’ultime frontière se rapprochait, promesse d’un voyage hors du commun et peut-être… d’une transformation irréversible.


2. Les premières tensions en orbite

Après plusieurs manœuvres de mise à quai, le Stella Argus parvint à s’arrimer sans encombre au module d’accueil de la station orbitale Hélios III. Dans les couloirs hermétiques qui reliaient le vaisseau à la station, on percevait un bourdonnement continu, celui des systèmes de survie et de la circulation d’air sous pression. C’était un environnement artificiel, coupé du vide sidéral qui régnait au-dehors, et pourtant déjà plus proche des étoiles que ne l’était la Terre.


Mira Galen, casque sous le bras, fut la première à s’engager dans le sas d’entrée. Elle fut accueillie par un petit groupe d’ingénieurs en tenue bleue, reconnaissables à l’écusson de la station sur leur combinaison. Tandis que Hayden Sullivan et Naïra Savel la rejoignaient, Mira interrogea l’un des ingénieurs :


— Le Commandant Martinez ?

— Sur la passerelle de commandement, section C, répondit-il. Il vous attend avec impatience.


Suivant les couloirs blancs et luminescents de la station, le trio s’arrêta plusieurs fois pour saluer des connaissances ou répondre à de brèves questions. L’atmosphère était électrique : jamais on n’avait vu autant d’agitation sur Hélios III. On se croisait dans les corridors, parlant à demi-mot de l’Horizon Lumineux, de la mission imminente, d’un saut potentiellement risqué vers l’inconnu.


— Je sens de la nervosité, commenta Naïra à mi-voix, alors qu’un astronaute passait devant eux, l’air soucieux. On dirait que tout le monde réalise soudain l’ampleur du phénomène.

— C’est normal, répliqua Hayden. D’habitude, les missions spatiales se planifient sur des mois, voire des années. Là, nous sommes contraints d’improviser.


Ils parvinrent à la section C, où se trouvait la passerelle de commandement. Un vaste hublot panoramique offrait une vue à couper le souffle : la courbe bleutée de la Terre en contrebas, et, plus loin, un voile étoilé qui se prolongeait jusqu’à la nébuleuse de Carina. Sur l’un des écrans géants, un canal vidéo relayait les images du Calliope, toujours en observation avancée. On distinguait les pulsations lointaines de l’Horizon Lumineux, soulignées par des reliefs colorés.


— Enfin vous voilà ! lança une voix forte.


Le Commandant Martinez s’avança vers eux. Grand, le visage buriné, il arborait un sourire fatigué mais franc. Ses yeux trahissaient un trop-plein d’heures passées à surveiller des données qui, de l’avis de tous, défiaient la logique.


— Bienvenue sur Hélios III, salua-t-il en serrant la main de Mira, puis de Hayden et Naïra. J’espère que votre voyage s’est bien passé.


— Aussi bien que possible, répondit Mira avec un demi-sourire. Comment va l’équipe du Calliope ?


Le visage du Commandant s’assombrit légèrement :

— Certains sont euphoriques, prêts à foncer. D’autres sont au bord de la panique, craignant qu’on joue avec un feu cosmique. Pour être franc, l’ambiance n’a rien de simple. Les relevés récents montrent que l’intensité du phénomène augmente encore… ce qui accroît la pression sur tout le monde.


Il les guida vers une table holographique qui projetait l’image détaillée de la zone à explorer. En quelques gestes, il zooma sur un point lumineux entouré de fluctuations colorées.


— L’Apparition, comme certains l’appellent ici, se trouve à plusieurs jours de propulsion accélérée. Nous serons directement confrontés aux variations gravitationnelles. Sans compter les champs électromagnétiques qui saturent déjà certains capteurs.


— Vous craignez que nos systèmes lâchent avant l’approche ? s’inquiéta Hayden.

— Disons qu’on n’a pas de certitudes, répondit Martinez.


Naïra, qui écoutait jusqu’ici en silence, s’approcha de l’hologramme. Les couleurs ondulantes de l’Horizon Lumineux semblaient l’hypnotiser.

— Je ne saurais l’expliquer, dit-elle d’une voix basse, mais quelque chose, là-bas, nous appelle. J’ai la conviction que cette “faille” n’est pas une simple anomalie physique.


Martinez la dévisagea, un sourcil levé.

— On vous présente souvent comme la “mystique” du groupe, n’est-ce pas ? Ici, on est surtout formés aux données dures. On ne fonctionne pas sur l’intuition.


Mira capta la tension naissante : si Naïra représentait un aspect spirituel du projet, certains membres de la station voyaient d’un mauvais œil qu’on “mélange” science et foi. De son côté, Hayden s’éclaircit la voix :

— Pourtant, Commandant, vous savez que nos outils ne suffisent pas à comprendre ce qui se passe. Nous devons rester ouverts.


Martinez hocha la tête, sans pour autant dissimuler son scepticisme.

— Je vous préviens : votre équipage et moi, on sera très prudents. Tant qu’on n’aura pas de preuve qu’on peut aller plus loin, je ne prends aucun risque insensé.


Le ton ferme du Commandant fit écho dans l’esprit de Mira : effectivement, aucun d’entre eux n’avait intérêt à jouer les casse-cou. Mais le temps pressait. Ils durent en convenir : le climat de la station restait tendu, un mélange d’enthousiasme et de peur face à la perspective de s’approcher de l’Inconnu.


— Bien, reprit Martinez en reprenant son calme. Préparez votre intervention sur le Calliope. Nous transférerons tout l’équipement dans le module Stella Argus ce soir. Départ probable demain à l’aube.


— Reçu, répondit Mira, le dos droit malgré la fatigue.


Ils échangèrent ensuite sur des détails logistiques, puis Martinez s’éloigna pour répondre à un appel urgent, laissant Mira, Hayden et Naïra seuls face à l’hologramme coloré. Derrière eux, la passerelle s’agitait, les contrôleurs surveillant la moindre fluctuation de l’Horizon Lumineux.


— Je comprends les réticences du Commandant, murmura Mira en soupirant. Cette mission est un saut dans l’inconnu.

— Il est normal d’avoir peur, ajouta Hayden. La science s’écrit souvent dans la prudence, mais la découverte exige parfois de prendre des risques.


Naïra sonda leurs expressions, cherchant à décrypter leur état d’esprit :

— Que vous soyez motivés par la connaissance ou par un appel plus intérieur, nous sommes tous ici parce que nous sentons, d’une façon ou d’une autre, que ce phénomène peut changer nos certitudes.


Un silence s’installa, empreint de solennité. Au travers du hublot, l’immensité étoilée paraissait à la fois apaisante et infiniment mystérieuse. Les trois protagonistes pressentaient que les tensions qui régnaient dans la station n’étaient qu’un reflet amplifié de leurs propres doutes. Pour réussir, ils allaient devoir œuvrer de concert.


Dans ce moment suspendu, chacun réalisa le chemin qui restait à parcourir : non seulement celui qui les mènerait vers la nébuleuse de Carina, mais aussi le chemin intérieur, où se jouait la frontière entre le courage et la peur, la raison et la foi. Ils n’avaient pas d’autre choix que d’avancer, soutenus par l’espoir que, quelque part dans ces lueurs dorées, se cachait la clé d’une vérité cosmique encore insoupçonnée.


3. Retrouvailles avec l’équipage du Calliope

À travers le sas du module de transit, Mira Galen, Hayden Sullivan et Naïra Savel pénétrèrent enfin à bord de l’observatoire spatial Calliope. Bien que le Calliope fût relié à Hélios III par un tunnel pressurisé, l’ambiance différait déjà de celle de la station orbitale. Ici, l’espace était plus confiné, les appareils de mesure occupaient chaque recoin, et l’éclairage émanait de plafonniers plus doux, conçus pour limiter la fatigue visuelle lors des longues périodes d’observation.


— Bienvenue, dit une voix forte.


Le commandant Pierre Martinez — qui, malgré son titre, passait la plupart de son temps entre la station et l’observatoire — se tenait aux côtés d’une petite équipe de chercheurs aux yeux cernés. Parmi eux se trouvait la cheffe de mission d’origine, Reika Mosseri, dont le visage fin traduisait un épuisement nerveux. Elle portait une combinaison grise marquée du logo du Calliope et salua Mira d’un hochement de tête reconnaissant.


— J’aurais aimé qu’on se revoie dans d’autres circonstances, lâcha Reika dans un sourire contrit. Mais vous ne pouvez pas imaginer à quel point votre venue nous soulage.

— Les derniers relevés sont si alarmants ? demanda Mira, en jetant un œil au vaste écran incrusté dans la cloison, où dansaient des courbes d’intensité lumineuse.


Reika leur fit signe de la suivre jusqu’à la salle principale d’observation. Là, cinq ou six opérateurs manipulaient consoles et ordinateurs, le regard fixe sur une série de visualisations en temps réel de l’Horizon Lumineux. Sur l’un des moniteurs, une caméra haute définition renvoyait l’image d’un tourbillon doré au cœur de la nébuleuse de Carina, semblant pulser comme un cœur géant.


— Les pics d’énergie sont montés en flèche ces dernières vingt-quatre heures, expliqua Reika en faisant défiler des graphiques projetés sur un mur. La fréquence de ce “battement” cosmique s’accélère. C’est comme si… la faille s’ouvrait davantage et que quelque chose la traversait en continu.


Hayden fronça les sourcils, étudiant les données avec un regard analytique :

— À ce rythme, il est impossible de prédire la stabilité de la zone. Si nous voulons l’approcher, c’est maintenant ou jamais.


Le Commandant Martinez se rapprocha, lâchant un soupir :

— C’est aussi mon avis. Nous sommes partagés ici : une partie de l’équipage veut se retirer, craignant l’explosion ou l’effondrement de l’anomalie. L’autre insiste pour qu’on y aille au plus vite, au risque de perdre la moindre chance de percer ce mystère.


Mira s’avança vers la vitre panoramique occupant tout un pan de la salle. Au loin, l’étendue sidérale se constellait d’étoiles, mais ses yeux cherchaient déjà la lueur dorée, trop lointaine encore pour être visible à l’œil nu. Une sorte de frisson la parcourut : elle réalisa que cette image, entrevue depuis tant d’écrans et de relevés, était sur le point de devenir sa réalité.


— Je comprends la crainte d’une partie de votre équipage, dit-elle sans se retourner. L’idée même de franchir les limites du connu est effrayante. Mais l’opportunité est inestimable.


— C’est ce que j’essaye de leur faire comprendre, ajouta Reika, serrant brièvement l’épaule de Mira. Nous avons tous signé pour explorer l’univers, pas pour le regarder depuis un hublot.


Naïra, jusque-là silencieuse, s’approcha d’une console de visuels spectrographiques. Les couleurs chatoyantes de l’Horizon Lumineux se découpaient en lignes sinusoïdales, comme un chant lumineux à plusieurs voix. Elle ferma un instant les yeux, comme pour capter la vibration invisible qui émanait de ces signaux :

— Il y a là une forme d’harmonie, murmura-t-elle, comme si ce phénomène suivait une partition cosmique.


À ses mots, un jeune ingénieur situé à l’autre bout de la salle glissa un regard curieux : d’ordinaire, on aurait balayé ce genre de commentaire comme un lyrisme déplacé. Pourtant, compte tenu de l’énormité de la situation, même un esprit rationnel pouvait se sentir dépassé.


— Bon, reprit Hayden, d’un ton plus technique pour recentrer la conversation, le Stella Argus est prêt. Les réacteurs de stabilisation ont été renforcés, et nous avons ajouté des capteurs de dernière génération à son bouclier énergétique.


Reika consulta rapidement une tablette, hochant la tête :

— Très bien. Nous pourrons finaliser les transferts de matériel dans les douze prochaines heures. Il vous faudra encore du personnel ?


— Pas plus que prévu, répondit Mira. La priorité est de limiter l’équipage pour réduire les risques.


Un silence solennel les saisit, comme si chacun s’apprêtait à sortir du confort relatif du Calliope pour se jeter dans une immensité incertaine. Martinez, posant la main sur la table de contrôle, confirma leur plan d’action :

— L’expédition partira demain à l’aube. On fera un dernier point avec Hélios III, et ensuite, aucune marche arrière.


À cet instant, les haut-parleurs internes diffusèrent un appel au rassemblement dans l’une des salles annexes. Reika, s’excusant, se dirigea vers la sortie, suivie de Martinez. Mira, Hayden et Naïra restèrent un instant seuls au milieu des écrans, où dansait la lumière dorée.


— Ils s’en remettent à nous, dit Mira, son regard toujours absorbé par les pulsations sur l’écran. À nous de leur prouver que ce saut dans l’inconnu servira à l’humanité entière.


— Mais aussi à nous-mêmes, souffla Naïra. Ce qui nous attend dépasse peut-être toutes nos projections.


Hayden, qui connaissait le poids des responsabilités, posa une main sur l’épaule de Mira :

— Reposons-nous un peu. Demain, nous sautons dans l’un des plus grands mystères de la science, peut-être de l’histoire de la conscience humaine.


Dans le silence de la salle d’observation, on n’entendait que le bourdonnement feutré des instruments. Dehors, les étoiles brillaient d’un éclat indifférent. Pourtant, au loin, dans la nébuleuse de Carina, une anomalie dorée appelait — un appel irrésistible que l’équipage du Calliope et les trois voyageurs venus de la Terre ne pouvaient plus ignorer.


4. L’émerveillement et la préparation spirituelle

La journée tirait à sa fin sur le Calliope, et l’équipage s’activait pour tout boucler avant l’expédition du lendemain. Tandis que des techniciens fixaient les derniers instruments au module Stella Argus, un calme inattendu régnait au cœur d’une salle d’observation annexe, aménagée en un espace semi-clos à la lumière tamisée. C’est là que Naïra Savel avait proposé de rassembler quiconque souhaitait prendre un instant de recul avant le grand départ.


Mira Galen et Hayden Sullivan hésitèrent un bref instant à franchir la porte, peu habitués à ce genre de “rituel” dans le cadre d’une mission. Pourtant, leur curiosité et peut-être un certain besoin d’apaisement les poussèrent à entrer. À l’intérieur, ils découvrirent une dizaine de personnes déjà installées en cercle : des ingénieurs, un astronaute au visage grave, et même un jeune scientifique qui avait publiquement exprimé son scepticisme quant à la dimension spirituelle du projet. Malgré la diversité de leurs profils, tous semblaient ressentir la même fébrilité, entre angoisse et exaltation.


— Merci d’être venus, dit doucement Naïra, assise sur le sol recouvert d’un mince tapis. Je sais que certains d’entre vous ne partagent pas mes convictions, et je ne vous demanderai jamais de le faire. Mais avant de nous élancer vers un phénomène qui échappe à notre compréhension, je pense qu’il est essentiel de faire silence en nous.


Ses mots, prononcés d’une voix posée, invitèrent chacun à s’asseoir. Les lumières furent abaissées, plongeant la salle dans une douce pénombre. Par la baie vitrée circulaire, on distinguait la Terre, toujours belle et lointaine, mais plus petite que jamais. Là-bas, sur ce monde désormais si éloigné, des millions de personnes suivaient sans doute les informations relayées en boucle, sans réaliser à quel point l’équipage du Calliope vivait un moment de bascule.


Naïra proposa aux présents de fermer les yeux et de prêter attention à leur respiration. Ses murmures ressemblaient à une méditation guidée, et ceux qui le souhaitaient la suivaient. Mira sentit sa propre respiration s’apaiser, son rythme cardiaque ralentir. Elle laissa de côté les calculs, les schémas, les spectrogrammes. Pour quelques instants, elle se focalisa sur son souffle et le silence intérieur que Naïra tentait d’éveiller.


Hayden, lui, ouvrait parfois les yeux, par réflexe, pour observer la réaction des autres participants. À sa surprise, même les plus “cartésiens” avaient les paupières closes, le visage presque serein. Il referma les siennes, et une image fugitive de l’Horizon Lumineux lui traversa l’esprit : cette pulsation dorée, comme un appel lointain, se confondait à présent avec le battement de son propre cœur. Il laissa la sensation l’envahir, acceptant peut-être pour la première fois l’idée qu’il existait, dans ce voyage, une part irrationnelle et intime dont il ignorait encore la portée.


— Quoi qu’il se passe demain, murmura Naïra en concluant la séance, rappelez-vous que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes liés par ce désir de comprendre et d’explorer. Ce que nous trouverons là-bas sera plus facile à affronter si nous restons unis, tant sur le plan scientifique que sur le plan humain.


Un léger silence suivit, brisé seulement par les soupirs d’apaisement et le bourdonnement lointain des systèmes de ventilation de l’observatoire. Chacun rouvrit lentement les yeux, comme s’il sortait d’un rêve fragile. Sur les visages, on percevait une émotion confuse : une sorte de gratitude, mêlée de la conscience que l’extraordinaire aventure à venir nécessiterait tout autant de courage que de solidarité.


— Je… vous remercie, finit par dire un ingénieur d’une voix rauque, avant de se lever maladroitement. Je ne savais pas trop ce que ça m’apporterait, mais ça fait du bien de se poser.


Mira sourit, vaguement troublée par cette expérience qu’elle n’avait encore jamais vécue dans un cadre aussi professionnel. Elle posa la main sur l’épaule de Naïra, en signe de reconnaissance. Puis, avec Hayden et les autres, elle quitta l’espace de méditation pour rejoindre les couloirs plus éclairés du Calliope.


Dès qu’ils remirent les pieds dans la coursive principale, la fébrilité ambiante les rattrapa. Les préparatifs, les discussions techniques, les alarmes sporadiques qui résonnaient : tout leur rappelait qu’ils se trouvaient à la veille d’un départ vers un mystère potentiellement dangereux. Pourtant, chacun portait encore en lui ce bref moment de calme et de profondeur, comme un trésor intérieur.


Et c’est avec cet équilibre fragile — entre le tumulte technologique et la quiétude d’un silence partagé — que l’équipage de l’Argus s’apprêtait à décoller, à l’aube suivante, vers l’Horizon Lumineux. Un pèlerinage qui, sans doute, exigerait bien plus que de simples compétences spatiales pour se révéler pleinement.


5. Le départ effectif vers l’Horizon Lumineux

Les heures qui suivirent la méditation guidée par Naïra passèrent à toute vitesse. Sous les lumières blafardes du Calliope, l’équipage s’affairait à un ballet précis : tests de communication, vérification des réservoirs, synchronisation des horloges internes avec celles de la station Hélios III et de la Terre. À mesure que la nuit artificielle s’installait dans les modules de l’observatoire, le sentiment d’une échéance capitale se renforçait.


Mira Galen, entourée d’une poignée de techniciens, parcourait une dernière fois la liste d’équipements à embarquer dans le Stella Argus. Hayden Sullivan, concentré sur sa console, modifiait quelques paramètres de navigation. Les calculs bruts indiquaient qu’ils ne pouvaient pas se permettre la moindre erreur dans leurs trajectoires : les forces gravitationnelles en jeu autour de la nébuleuse de Carina restaient imprévisibles. Quant à Naïra Savel, elle donnait un coup de main à un ingénieur pour disposer correctement quelques capteurs ésotériques, combinant métaux rares et symboles traditionnels, dont l’intérêt scientifique prêtait à débat. Pourtant, compte tenu de l’inconnu, personne n’osait plus juger prématurément l’utilité de ces instruments atypiques.


— Quinze minutes avant séparation du module, lança soudain une voix dans les haut-parleurs, couvrant le brouhaha ambiant.


Tous les regards convergèrent vers la passerelle de liaison où se trouvait le sas menant au Stella Argus. La sonnerie de compte à rebours commençait déjà, d’une tonalité grave et rythmée, comme un tambour d’avant-bataille.


— C’est parti, dit Hayden en jetant un coup d’œil à Mira, qui refermait sa mallette d’appareils d’analyse.


Un petit groupe d’hommes et de femmes, parmi lesquels Reika Mosseri et le Commandant Martinez, s’était réuni pour un adieu rapide. Les visages étaient plus sérieux que jamais, mais un éclat de fierté brillait dans leurs yeux : quoi qu’il advienne, ils participaient tous à un événement sans précédent dans l’histoire de l’exploration spatiale.


— Bonne chance, lança Reika en serrant la main de Mira. Ramenez-nous un fragment de vérité.


— On fera de notre mieux, promit Mira, émue malgré elle.


Martinez, quant à lui, serra brièvement le bras de Hayden :

— Rappelez-vous : aucune découverte ne vaut la perte de l’équipage. Si les relevés deviennent incontrôlables, faites demi-tour.


— Reçu, Commandant. Mais je préfère croire qu’on saura trouver une voie pour aller plus loin sans se mettre en danger.


Naïra s’inclina légèrement devant eux, comme un salut mi-solennel, mi-reconnaissant. Puis, avec Mira et Hayden, elle s’engagea dans le sas d’embarquement. On referma derrière eux la lourde porte pressurisée, isolant le Stella Argus du reste du Calliope.


À l’intérieur du module, l’atmosphère était chargée d’électricité. Les scaphandres de secours pendaient dans l’habitacle étroit. Les sièges, déjà calibrés pour accueillir quatre ou cinq personnes, les attendaient. Chacun s’installa, vérifia ses systèmes de sécurité et boucla son harnais. Un pilote chevronné du Calliope, la capitaine Yara Ossei, avait été désignée pour manœuvrer l’Argus durant la première phase de vol. Elle salua brièvement l’équipe avant de s’installer aux commandes.


— Contrôle Calliope, ici le Stella Argus, annonça-t-elle dans le micro. Séquence de détachement enclenchée, T moins quatre minutes.


— Calliope à Stella Argus, nous vous recevons cinq sur cinq. Bon voyage à vous et à vos passagers.


Le vaisseau trembla légèrement lorsque les loquets magnétiques se désolidarisèrent de la paroi. À travers les hublots, on voyait déjà le Calliope reculer, ou plutôt, c’était l’Argus qui s’éloignait lentement, emportant Mira, Hayden et Naïra vers l’inconnu.


Les moteurs ioniques s’enclenchèrent dans un bourdonnement feutré. Sur le tableau de bord, des voyants verts signalaient l’état optimal des boucliers et des réacteurs, tandis qu’un moniteur retransmettait l’image floue du phénomène lumineux, désormais leur unique horizon d’exploration.


Mira, le regard fixé sur les données qui défilaient, sentit malgré elle son cœur s’emballer. Cette fois, il n’y avait plus de retour possible sans avoir au moins tenté l’approche. Hayden tapotait sur sa console, confirmant les coordonnées d’injection orbitale. Naïra, assise à l’arrière, ferma un instant les paupières. Personne ne parla, comme si l’équipage effectuait le deuil silencieux de toute certitude.


Soudain, la capitaine Ossei poussa doucement la manette d’accélération. Le Stella Argus se mit en route vers la nébuleuse de Carina, où la pulsation dorée les attendait. À l’intérieur de ce module à taille humaine, chacun prenait conscience qu’il devenait, à sa manière, un pèlerin vers les confins du possible.


La radio crachota un dernier message d’encouragement :

— Ici Calliope. Bonne chance. On est avec vous.


Puis le canal se tut presque entièrement, remplacé par un léger crépitement et les sons organiques du vaisseau : ventilation, hum des réacteurs, bip régulier du système de guidage. L’aventure commençait réellement.


La Terre était désormais bien loin derrière. Le Calliope s’effaçait lentement de leur champ de vision, laissant place à l’immensité étoilée. Dans le cockpit, personne n’osait briser le silence. Tous savaient que chaque heure qui passerait les rapprocherait d’un mystère cosmique susceptible de bouleverser la science autant que leur propre perception de la réalité.


C’est ainsi que s’achevait ce périple préparatoire, ce “pèlerinage” entamé sur Terre et poursuivi en orbite. Désormais, le Stella Argus filait en direction de l’Horizon Lumineux, et dans le cœur de ses passagers se mêlaient l’espérance, la crainte et un irrépressible appel à la connaissance. Dans le vide spatial, cette flamme dorée brillait déjà plus fort, comme si l’univers tout entier leur murmuraient : “Avancez, venez voir ce qu’il y a au-delà…”


Chapitre 3 : L’Arrivée face à l’Horizon Lumineux


1. L’approche finale

Le Stella Argus filait à vive allure à travers l’immensité noire, propulsé par ses réacteurs ioniques. À bord, la tension montait à mesure que les voyants de contrôle affichaient l’imminence de la zone critique. Derrière le hublot panoramique, la nébuleuse de Carina occupait déjà une grande partie du champ de vision, ses volutes irisées tourbillonnant dans un camaïeu de pourpre, de vert et d’ocre. Au-delà, là où aucun œil humain n’avait jamais vraiment détaillé la scène, une étrange lueur dorée pulsait comme un battement de cœur cosmique.


— Stabilisation dans cinq minutes, annonça la capitaine Yara Ossei depuis le poste de pilotage. Préparez-vous à d’éventuelles turbulences électromagnétiques.


Dans le cockpit exigu, Mira Galen observa l’unité de mesure gravitationnelle : les chiffres clignotaient parfois dangereusement, montrant des pics irréguliers. Elle savait que, d’ici peu, l’environnement deviendrait instable. Pourtant, un sentiment d’émerveillement la saisit. Plus qu’aucune autre expédition, celle-ci la confrontait à la beauté brute de l’espace : les nuées colorées s’étendaient tels des continents de gaz, et la fameuse “lueur” — baptisée par certains l’Horizon Lumineux — semblait émettre un appel silencieux.


— Regarde ça, murmura Hayden Sullivan, penché sur ses relevés. La densité du champ magnétique est en hausse constante… C’est comme si le phénomène nous attirait ou déformait l’espace autour de lui.


À l’arrière, Naïra Savel ferma un instant les yeux. Elle percevait, d’une façon qu’elle peinait à exprimer, une vibration diffuse, un son intérieur à peine perceptible. Chaque pulsation lumineuse lui donnait l’impression que son propre rythme cardiaque s’ajustait en écho. Était-ce une pure coïncidence physiologique ou le signe de quelque chose de plus profond ? Difficile à dire, mais la mystique sentait naître en elle un mélange de fascination et d’humilité.


— On devrait commencer à capter des interférences plus nettes, annonça Mira, en vérifiant l’un des écrans latéraux. Les instruments d’analyse spectrale devraient nous envoyer des images à haute résolution d’ici quelques instants.


Comme pour confirmer ses propos, un premier frémissement secoua la carlingue du vaisseau. Rien de très violent, mais la structure métallique laissa entendre un gémissement ténu, rappelant à chacun qu’ils avançaient en territoire inconnu. Les capteurs, eux, clignotaient d’un rouge inquiétant, signalant des valeurs qui entraient déjà dans des zones de danger théorique.


— Ralentissons un peu, déclara Yara en manœuvrant avec dextérité. On ne sait pas jusqu’où on peut pousser la coque ni le bouclier énergétique.


Le Stella Argus réduisit sa vitesse, glissant presque en douceur dans un corridor cosmique où les gaz colorés de la nébuleuse s’écartaient. Au-delà, une lueur dorée plus intense se dévoilait, comme une brèche lumineuse au milieu d’un orage stellaire. Hayden, partagé entre la fébrilité du scientifique et la crainte du voyageur qui s’aventure hors de tout repère, ne quittait pas l’écran des yeux.


— Le phénomène est nettement plus brillant que prévu, fit-il remarquer en frôlant du doigt les relevés de luminosité. S’il continue de gagner en intensité, on pourrait avoir du mal à maintenir la navigation manuelle.


Mira échangea un regard rapide avec Naïra, décelant dans ses yeux une combinaison similaire d’admiration et d’inquiétude. Puis elle reporta son attention sur un flux de données qui se chargeait lentement sur le moniteur. Les courbes spectrales montraient une synergie étrange de rayons gamma, d’ondes infrarouges et d’énergies non identifiées. Rien ne correspondait vraiment à leurs modèles ou hypothèses initiales.


— Si la nature même de cet Horizon Lumineux nous échappe, comment le franchir ? murmura-t-elle à voix basse, à l’intention de personne en particulier.


Naïra leva le regard vers elle :

— Peut-être qu’il ne s’agit pas uniquement de “comprendre” pour l’aborder, Mira… Mais aussi d’y consentir, d’accepter qu’on pénètre dans un mystère dont la logique nous dépasse.


Yara Ossei, concentrée sur le pilotage, capta l’échange du coin de l’œil. Pour elle, la priorité consistait à garder le vaisseau stable. Chacun avait sa part de rationalité ou de spiritualité dans cette aventure, et elle ne pouvait pas se permettre d’ignorer l’état psychologique de l’équipage. Un astronaute terrifié ou hagard serait un danger pour tout le monde.


— Préparez-vous à une nouvelle secousse, avertit-elle. Les capteurs détectent une onde de choc imminente.


À peine avait-elle fini sa phrase qu’une vibration plus forte secoua le vaisseau, faisant cligner plusieurs écrans. Les ceintures retenant Mira, Hayden et Naïra se tendirent sous la force du mouvement. Un bref grésillement émana des haut-parleurs, comme si le Calliope ou Hélios III tentait d’entrer en contact.


— Ici Stella Argus, tout va bien pour le moment, indiqua Yara d’une voix assurée. Nous poursuivons l’approche.


À l’extérieur, la nébuleuse s’éclairait de plus en plus, comme si la lumière dorée se répercutait sur les volutes de gaz. Depuis leurs hublots, les passagers pouvaient voir d’infimes particules briller et tourbillonner, portées par un courant cosmique invisible. L’Horizon Lumineux, lui, grandissait à vue d’œil. Ce n’était plus une simple tache lumineuse : on distinguait une sorte de “fissure” ovale, au pourtour émouvant d’énergie, qui jetait des éclats scintillants dans l’obscurité.


— Regardez, souffla Mira en désignant la scène. C’est comme une porte, ou un voile…


Personne ne répondit, tant ce qu’ils voyaient défiait leur capacité à trouver les mots justes. Le vaisseau dérivait maintenant lentement, en station-keeping, à quelques milliers de kilomètres seulement de la brèche dorée. Partout autour d’eux, l’espace prenait des teintes somptueuses, et la profondeur du ciel donnait l’impression d’un océan sans fond.


Dans la cabine, on n’entendait plus que le bourdonnement sourd des systèmes de survie et le souffle saccadé de l’équipage. L’approche finale touchait à sa fin : désormais, ils étaient aux portes d’une réalité encore insoupçonnée. Et tandis que le Stella Argus se stabilisait, tous prirent conscience que l’instant décisif approchait, celui où il leur faudrait décider d’avancer — ou de renoncer.


2. Perturbations et imprévus

À bord du Stella Argus, le silence qui régnait l’instant précédent se rompit soudain sous un concert de bips et d’alarmes clignotantes. Les écrans de contrôle, auparavant stables, se mirent à afficher des variations brutales de champs électromagnétiques et gravitationnels.


— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mira Galen, la voix tendue.

— Nos capteurs subissent des interférences massives, répondit Hayden Sullivan, penché sur sa console. Les valeurs s’emballent dans tous les sens : on peine à en tirer la moindre cohérence.


Dans le cockpit, la capitaine Yara Ossei manœuvra les commandes pour stabiliser l’appareil. Le vaisseau subit un léger roulis, comme s’il était happé par des courants invisibles.


— Tenez-vous prêts, prévint-elle. La structure du Stella Argus peut supporter des fluctuations, mais je ne garantis pas qu’on n’aura pas de secousses plus fortes.


Naïra Savel, calée dans un siège plus en retrait, observait les écrans. Les courbes sinusoïdales, difformes, semblaient refléter un chaos à la fois physique et… autre chose. Les couleurs vives qui pulsaient sur les moniteurs faisaient écho à la sensation intérieure qu’elle éprouvait depuis un moment : comme un frémissement au plus profond de son esprit.


— Ce n’est pas qu’une simple anomalie, murmura-t-elle, presque pour elle-même. C’est comme s’il y avait une forme d’intelligence dans cette pulsation.


Hayden, concentré sur ses relevés, ne put s’empêcher de répondre avec un soupçon de nervosité :

— L’espace fourmille de phénomènes impressionnants, mais ça ne veut pas forcément dire qu’ils sont “pensants”.


Avant que Naïra ne rétorque, un nouveau tremblement secoua la carlingue. Les lumières intérieures vacillèrent, et l’un des capteurs du bouclier énergétique émit un sifflement strident.


— On perd en intensité de protection, déclara Yara en parcourant rapidement les jauges. Le bouclier se décharge, sûrement à cause des ondes gravitationnelles.


— Tu peux le rebooster via le générateur auxiliaire ? suggéra Mira d’un ton rapide.


— Je vais essayer.


La capitaine enclencha une séquence d’activation. Durant quelques secondes, le bourdonnement du vaisseau s’amplifia, avant de retrouver son niveau habituel. Sur l’écran latéral, la jauge du bouclier remonta légèrement, sans toutefois retrouver ses valeurs optimales.


— Espérons que ça tienne jusqu’à la fin de notre approche, dit Hayden, les sourcils froncés.


Autour d’eux, la lueur dorée à l’extérieur gagnait en netteté. Les volutes de la nébuleuse semblaient onduler sous l’effet d’une force mystérieuse, tandis que de fugaces éclats brillaient à sa périphérie comme autant d’étoiles naissantes. Chacun percevait désormais que cette lumière n’était pas simplement “posée” là, mais paraissait en pleine expansion, comme un être en train de croître ou de respirer.


— Regardez ça, lâcha Mira en désignant une lecture thermique sur son moniteur. La température alentour n’augmente pas vraiment, mais l’énergie lumineuse émise est quatre fois supérieure à ce qu’on mesurait il y a dix minutes.


— Quatre fois ?! répéta Hayden, subitement inquiet. Alors on parle d’une progression exponentielle ?


— Oui… et on ne sait pas où elle va s’arrêter.


La carlingue vibra de nouveau, plus longuement cette fois. Yara, crispée sur les commandes, stabilisa le vaisseau avec peine. Dans le couloir du module, on entendit chuter un outil mal arrimé, résonnant sur le sol métallique.


— Dites-moi que c’est un simple passage de turbulence, lança la capitaine, le visage tendu.


Pour toute réponse, la console de communication crachota un grésillement intense, comme si le Calliope ou Hélios III tentaient de les joindre. Hayden activa la liaison, mais n’obtint qu’un bruit blanc saturé. Ils venaient, de toute évidence, de perdre le contact radio.


— Plus rien, constata-t-il dans un souffle. Impossible de savoir si c’est un brouillage naturel ou si le phénomène “absorde” les ondes.


Dans le petit habitacle, le silence retomba, plus pesant que jamais. Un silence rompu seulement par le bip nerveux de diverses alertes, comme une cacophonie technologique. Les visages se fermaient, chacun luttant pour garder son sang-froid.


— J’ignore si on doit continuer, finit par dire Yara, le regard braqué sur l’espace extérieur. La sécurité du vaisseau est compromise…


— Je sais, concéda Mira, la mâchoire crispée. Mais si on fait demi-tour maintenant, on risque de perdre à jamais l’occasion de comprendre ce qui se passe ici. Ce serait un échec pour tout ce qu’on a préparé depuis le début.


Une discussion s’engagea, entrecoupée par les secousses. D’un côté, la prudence : rien ne garantissait que le Stella Argus survivrait à une avancée plus rapprochée vers l’Horizon Lumineux. De l’autre, la soif de découverte, voire la certitude d’être sur le point de percer l’un des plus grands mystères de l’univers.


Naïra, jusqu’ici muette, glissa un regard vers Mira et Hayden :

— Quelque chose me dit que cette turbulence n’a rien d’anarchique. C’est comme si… l’éveil de cette lumière nous testait.


— Nous testait ? répéta Hayden, les yeux écarquillés.


— Je sais que ça peut paraître fou, mais le moment est venu de décider si nous lui ouvrons notre esprit… ou si nous renonçons.


Les vibrations cessèrent momentanément, comme une acalmie après la tempête. Le vaisseau flottait à proximité du vortex lumineux qui, maintenant, offrait au regard un spectacle à la fois fascinant et terrifiant. On y devinait des spirales, des tourbillons d’or qui scintillaient de mille reflets, aspirant presque la vision de ceux qui le contemplaient.


Yara, la mâchoire serrée, attendit quelques secondes avant de prendre la parole :

— Équipage, j’ai besoin d’une décision claire. Soit on passe en propulsion inverse et on se retire. Soit on avance.


Un silence électrique envahit la cabine, chacun ressentant la gravité de l’instant. Les instruments, le cadre, la science… tout paraissait instable, et pourtant, au fond d’eux, Mira, Hayden et Naïra savaient qu’ils n’étaient plus venus simplement pour observer. Ils étaient venus pour vivre cette rencontre avec l’inconnu.


Ainsi, sur fond d’interférences chaotiques et de données incontrôlables, l’équipage du Stella Argus se retrouva devant le choix qui scellerait le cours de leur destinée : faire demi-tour ou oser braver les imprévus pour affronter la lumière dorée qui les appelait depuis si longtemps.


3. Le face-à-face avec l’Horizon Lumineux

Le Stella Argus dérivait désormais à quelques encablures du vortex doré, suspendu dans un silence à peine troublé par le chuintement des systèmes de survie. À travers le hublot principal, l’équipage découvrait la manifestation cosmique dans toute sa démesure : un tourbillon d’or et d’éclats irisés qui paraissait battre au rythme d’un pouls invisible. Les volutes gazeuses de la nébuleuse de Carina semblaient s’écarter autour de ce halo, comme si l’espace lui-même se réordonnait pour laisser place à quelque chose de plus grand.


— C’est… indescriptible, souffla Mira Galen, la gorge sèche. Jamais je n’ai vu une telle structure.


Hayden Sullivan, encore secoué par la récente série de turbulences, restait bouche bée devant l’écran où s’affolaient les capteurs : champs magnétiques, radiations multiples, signaux a priori incompatibles entre eux. Mais au lieu de saturer, les instruments semblaient “hésiter”, comme s’ils n’arrivaient plus à catégoriser ce qu’ils mesuraient.


— Les données n’ont aucun sens, constata-t-il, la voix étrangement calme. C’est comme un langage inconnu…


La capitaine Yara Ossei, malgré la fascination ambiante, continuait de surveiller de près les stabilisateurs. Chaque seconde à proximité de l’Horizon Lumineux soumettait le Stella Argus à des forces que personne n’était en mesure de comprendre pleinement.


— On tient le cap, mais pas pour longtemps, prévint-elle. À la moindre secousse, je devrai nous éloigner.


Naïra Savel, quant à elle, ne parvenait plus à détacher son regard de la brèche lumineuse qui se dessinait à l’avant. Les spirales dorées semblaient pulser, onduler, comme mues par une volonté propre. Elle eut soudain l’impression qu’un voile se levait, dévoilant non pas un simple phénomène, mais une “présence”. Sans pouvoir l’expliquer, elle sentit un écho, presque une voix intérieure chuchotant au-delà des limites du langage.


— Vous le sentez ? murmura-t-elle, la main posée contre la paroi métallique.


Mira et Hayden échangèrent un regard perplexe. Eux aussi éprouvaient un trouble indescriptible, une impression d’être à la fois aspirés et retenus. Comme si l’Horizon Lumineux exerçait une gravité émotionnelle aussi forte que sa gravité physique.


— Je… ne sais pas, fit Mira, hésitante. Mais c’est vrai que j’ai des frissons, et je ne crois pas que ce soit juste la peur.


Hayden voulut répliquer quelque chose, sans doute mettre en avant une hypothèse scientifique, mais ses mots s’étranglèrent dans sa gorge. Face à ce spectacle, toutes ses théories semblaient vaines. Il réalisa soudain qu’ils ne faisaient pas seulement face à un phénomène astrophysique : ils étaient confrontés à l’inimaginable, à la lisière de l’inexplicable.


Un léger scintillement plus intense illumina alors le cockpit, comme un flash silencieux émanant du vortex. Les parois du vaisseau tremblèrent, et plusieurs voyants passèrent au rouge. Pendant une fraction de seconde, un blanc total envahit le champ de vision de chacun.


— Qu’est-ce que… ? s’exclama Yara en resserrant sa prise sur les commandes.


Lorsque la lumière s’atténua, l’équipage se rendit compte que les systèmes semblaient se “réinitialiser”. Les écrans, un à un, se remirent à afficher des informations différentes, comme si la précédente tempête électromagnétique venait d’être remplacée par un calme étrange. L’Horizon Lumineux, lui, paraissait plus proche encore, projetant sur le Stella Argus des reflets fluides et mouvants.


— Les capteurs… ils se recalibrent ? hasarda Hayden, la voix tremblante.


— Ou ils nous montrent une autre facette de la réalité, suggéra Naïra.


Dans un silence presque irréel, chacun se sentit soudain plus léger, comme si un équilibre nouveau s’installait. À l’extérieur, le vortex scintillait doucement, évoquant moins un danger qu’une invitation à s’approcher. Une invitation menaçante ou bienveillante ? Impossible à déterminer.


Mira posa ses yeux sur l’Horizon Lumineux et crut, l’espace d’un battement de cœur, distinguer des nuances de couleurs qu’aucun spectre connu ne répertoriait. Son esprit vacilla : tout ce qu’elle avait appris, toutes les équations scientifiques, tous les tableaux de données… tout lui paraissait dépassé. Elle se surprit à ressentir de la gratitude, à l’idée de contempler quelque chose qui la dépassait infiniment.


— Nous sommes vraiment face à… l’inconnu, lâcha-t-elle d’une voix blanche.


Et dans cette pénombre dorée, tandis que le Stella Argus flottait au seuil du mystère, chacun comprit que le point de non-retour n’était plus très loin. Ils s’apprêtaient à affronter une réalité qui, peut-être, modifierait à jamais leur vision du cosmos — et d’eux-mêmes.


4. La décision de franchir ou non le “seuil”

Au cœur du cockpit, la tension était palpable. Les capteurs, après leur brève “réinitialisation”, montraient désormais une stabilité relative, comme si l’Horizon Lumineux leur laissait un répit. À travers les hublots, les spirales dorées du vortex paraissaient moins chaotiques, presque hypnotiques, dégageant une lueur que chacun ressentait au plus profond de lui-même.


— Les perturbations sont retombées, annonça la capitaine Yara Ossei, scrutant les écrans. Notre bouclier énergétique tient encore, mais on ignore pour combien de temps.


Mira Galen hocha la tête, incapable de détourner son regard du spectacle cosmique. Elle avait l’impression de contempler une porte immense, faite non pas de métal ou de pierre, mais de lumière vivante. Un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’elle réalisa que cette “porte” pouvait tout aussi bien être un piège qu’une découverte fabuleuse.


— Si on tente de s’approcher davantage, on risque de dépasser les limites de sécurité, fit remarquer Hayden Sullivan, d’un ton moins ferme qu’à l’accoutumée.


— C’est sûr, répondit Mira. Mais si on se retire maintenant, qu’emportons-nous à part des lectures partielles ? L’essence même de ce phénomène risque de nous échapper pour toujours.


Silencieux jusque-là, Naïra Savel s’avança vers la vitre panoramique. Son visage habituellement serein trahissait un profond conflit intérieur : le désir d’avancer vers l’inconnu et la conscience des dangers encourus par le groupe.

— Je sens… quelque chose, murmura-t-elle. Comme une pulsation qui résonne en moi. Je ne prétends pas comprendre ce qui se joue ici, mais cette lumière ne me semble pas “hostile”.


Hayden, pourtant issu d’une formation scientifique stricte, ne put s’empêcher d’éprouver une étrange forme d’accord avec Naïra. Cette idée d’un “appel” diffus, il l’avait déjà ressenti, mais n’avait pas osé le verbaliser. Sa raison, toutefois, restait en alerte :

— Nous devons peser le pour et le contre. S’approcher revient à jouer avec des forces qui dépassent toute théorie connue. Peut-être que, même à distance, on peut collecter assez de données pour…


— Assez de données pour quoi ? coupa Mira, ses yeux clairs brillant d’une résolution inattendue. Pour avoir une énième série de chiffres incomplets ? Hayden, je sais que c’est risqué, mais nous sommes à un moment de vérité. Toute notre mission repose sur la volonté de percer ce mystère, pas simplement de le frôler.


La capitaine Ossei joignit les mains devant elle, prenant à son tour la parole :

— D’un point de vue opérationnel, nous pouvons essayer de nous approcher jusqu’à la limite recommandée par les calculateurs, mais pas davantage. Si la situation dégénère, je lance la séquence de repli sans attendre.


Hayden opina du chef, tandis que Naïra acquiesçait en silence. Pour la première fois, l’ensemble du groupe se trouvait uni par une même vision : ils n’étaient pas venus jusqu’ici pour rebrousser chemin sans avoir affronté ce qui se cachait derrière l’écran doré.


— Entendu, déclara Mira, le cœur battant à tout rompre. Approchons-nous. Mais restons prêts à rompre immédiatement en cas d’urgence.


— Alors, en position, répliqua Yara d’un ton professionnel, masquant sans doute son propre trouble.


Le Stella Argus se remit en mouvement. Un léger ronronnement emplit la cabine, tandis que les propulseurs ajustaient la trajectoire. Aux commandes, la capitaine Ossei gardait un œil ferme sur les stabilisateurs et les niveaux d’énergie du bouclier. À mesure qu’ils avançaient, une clarté de plus en plus vive se propageait à travers le hublot, embrasant presque l’intérieur du vaisseau de reflets dorés.


— Nous venons de franchir le seuil critique de proximité, annonça Yara après quelques minutes. Les instruments indiquent une zone de “transition” où les valeurs oscillent très vite.


Hayden regarda ses écrans : les graphiques, loin de s’affoler, semblaient se figer puis s’agiter en boucles erratiques, comme si la réalité mesurée ne parvenait pas à se stabiliser.

— Il se passe quelque chose d’anormal. On dirait que… l’espace autour de nous est altéré, comme plié ou distordu.


Mira Galen sentit une sueur froide perler sur sa nuque. Elle était à la fois terrifiée et exaltée : ils étaient peut-être en train d’assister à un phénomène transperçant les lois de la physique.

— Contrôle ton stress, songea-t-elle. Reste lucide, on a besoin de toi.


Naïra, elle, se tenait plus près encore de la vitre, sa main gauche pressée contre son cœur. La brillance de l’Horizon Lumineux, vue de si près, la submergeait, laissant émerger en elle un sentiment presque sacré.

— J’ai l’impression que cette lumière nous “voit”, murmura-t-elle, une nuance de joie et de crainte dans la voix.


Un silence compact s’abattit dans le cockpit, comme si chacun tentait de démêler l’indicible. Le Stella Argus pénétrait désormais une sphère où l’oscillation dorée paraissait tout englober. On distinguait au loin les volutes de la nébuleuse, mais elles semblaient brouillées, comme perdues derrière un voile. Le temps lui-même paraissait se ralentir.


— Tout l’équipage, tenez-vous prêts, déclara Yara, les deux mains agrippées aux commandes. Si la situation devient intenable, j’active la propulsion inverse.


— Reçu, confirma Mira, son attention focalisée sur un relevé montrant un pic d’énergie immense.


— On est si près… souffla Hayden, dont la voix trahissait un mélange d’excitation et d’angoisse.


Leur vaisseau progressait toujours, telle une barque fragile remontant le courant d’un fleuve inconnu. À chaque mètre parcouru, la luminosité grandissait, au point que certains durent plisser les yeux. Il n’y avait plus de doutes : ils étaient à l’orée de ce qu’on aurait pu appeler un “passage”.


Arrivé à ce point, chacun comprit que la décision de franchir — ou non — le seuil de l’Horizon Lumineux était imminente. Une fois à l’intérieur, rien ne garantissait qu’ils pourraient faire marche arrière. Mais déjà, dans le silence vibrant de la cabine, une petite voix intérieure semblait murmurer à chacun : “Vous êtes venus pour ça. Ne reculez pas.”


5. Le franchissement

Le Stella Argus se maintenait désormais à l’extrême lisière du vortex doré. Depuis le cockpit, la lumière envahissait chaque recoin de l’habitacle, à tel point que les visages de l’équipage se distinguaient à peine dans ce halo presque aveuglant. Dehors, la structure du phénomène se révélait par d’infinies arabesques qui semblaient s’imbriquer, puis se séparer en tourbillons scintillants.


— C’est comme un mandala en mouvement, murmura Naïra Savel, subjuguée.


À la console, Hayden Sullivan lutta pour conserver un regard analytique. Les instruments de mesure tombaient en désaccord les uns avec les autres, comme si aucune loi connue ne régissait plus ce lieu. Son écran affichait tour à tour des pics ahurissants et des valeurs négatives impossibles.


— Nos capteurs sont perdus, signala-t-il, impuissant. Même nos coordonnées de position spatiale semblent dériver.


Mira Galen, le cœur tambourinant, esquissa un sourire tremblant. Cette confusion n’était-elle pas l’ultime preuve qu’ils se trouvaient à l’orée d’une réalité nouvelle ? Elle pensa brièvement à la Terre, si lointaine, où des chercheurs anxieux attendaient leurs données. Leurs certitudes, à tous, allaient être ébranlées comme jamais auparavant.


— On reçoit un bref signal ! lança tout à coup la capitaine Yara Ossei, en désignant un voyant clignotant sur la console de communication.


Tous prirent une inspiration, croyant que le Calliope ou Hélios III tentait de reprendre contact. Mais un crépitement indescriptible résonna dans les haut-parleurs, suivi d’une sorte de modulation basse et rythmée. Rien de compréhensible, aucune voix, aucune fréquence standard.


— Qu’est-ce que… ? murmura Mira, fascinée.


— Je l’ignore, répondit Yara, la main suspendue au-dessus du cadran. Ce n’est pas un code humain, c’est certain.


Le signal disparut aussi vite qu’il était apparu, et le silence revint, si ce n’est la présence palpable de l’éclat doré. Un instant, personne n’osa parler. Chacun ressentait la même chose : un mélange de frisson et de pressentiment, comme si un dialogue venait de s’engager, même furtivement, entre l’horizon et eux.


— J’ai la nette impression que le “portail” nous appelle, reprit Naïra, sa voix vibrant d’une émotion profonde.


Hayden, partagé entre la science et sa propre intuition, hocha finalement la tête :

— Nous avons déjà passé le point de non-retour. Quitte à comprendre un minimum ce qui se joue ici… il faut franchir cette barrière.


— Moi aussi je pense qu’il faut y aller, déclara Mira, la gorge sèche. On ne peut pas rester dans cette frontière d’incertitude.


Dans le cockpit, la capitaine Yara Ossei consulta une dernière fois les stabilisateurs, dont les jauges tendaient dangereusement vers la zone rouge. Ses doigts pianotèrent sur le tableau de commande, activant la propulsion minimale pour s’avancer de quelques mètres encore.


— Très bien. Mais je vous le dis : si nous perdons tout contrôle, je tenterai un retour immédiat. Soyons prêts à toutes les éventualités.


Puis, retenant leur souffle, les quatre protagonistes virent la lumière se rapprocher, ou plutôt ressentirent qu’ils plongeaient en elle. Les parois du Stella Argus se mirent à vibrer d’une fréquence grave, presque organique, faisant résonner chaque plaque de métal. Les capteurs, eux, se contentèrent d’afficher des lignes de code brouillées, comme si la réalité elle-même submergeait toute tentative de mesure.


— Je passe la limite, annonça la capitaine, d’une voix un peu tremblante.


C’est alors que survint un phénomène qu’aucun mot ne pouvait décrire. Le vortex sembla se contracter et s’étirer simultanément, englobant la proue du vaisseau. L’intérieur du cockpit fut soudain noyé dans un flash qui se diffracta en myriade de couleurs : l’or se mêla à des nuances opalescentes, à des teintes si exotiques que l’œil humain en restait médusé.


Mira, Naïra, Hayden, Yara… tous éprouvèrent un vertige violent, comme si leur esprit était projeté hors d’eux-mêmes. Un son profond, proche d’un battement de tambour cosmique, emplissait leurs oreilles, tandis que le sentiment d’une “présence” innommable grandissait en eux, tantôt bienveillante, tantôt effrayante.


Dans un flash final, les commandes s’éteignirent brutalement, plongeant le Stella Argus dans une demi-obscurité. Les écrans cessèrent de diffuser la moindre information. Le vaisseau paraissait flotter dans un vide paradoxal, irréel, où plus rien ne répondait aux lois physiques habituelles.


— Contrôle ? balbutia Hayden. Calliope ? Hélios III ? Quelqu’un ?


Aucun signal ne parvint, pas même un grésillement. Seul le battement sourd et régulier de l’air recyclé trahissait encore la présence d’une machinerie. Tout le reste, tout l’extérieur, semblait à la fois éblouissant et silencieux.


— On n’a plus aucun repère, articula Mira, le cœur au bord des lèvres.


Naïra, les yeux grands ouverts, crut distinguer, au-delà du hublot, des formes mouvantes se détachant sur la lumière. Était-ce un mirage ? Un reflet ? Ou quelque chose de plus réel que tout ce qu’ils avaient connu ?


— Regardez là-bas, dit-elle dans un souffle, pointant du doigt une zone où la clarté se fragmentait en motifs géométriques.


Soudain, un choc secoua le Stella Argus de l’intérieur, désarrimant plusieurs objets. Les fils d’alimentation cliquetèrent contre la coque, et chacun se retrouva plaqué à son siège par une force étrange, ni tout à fait gravitationnelle, ni totalement inertielle.


Puis le noir.


Un noir absolu, sans la moindre lueur, comme si l’univers venait d’éteindre ses lumières. Seuls les battements de cœur effarés et le souffle coupé des voyageurs résonnaient encore. Un claquement électrique, un frisson dans l’air, et tout s’arrêta : ils étaient hors du temps, perdus dans une frange de l’espace dont personne ne parlait dans les manuels d’astronomie.


Le silence perdura, lourd, oppressant, traversé de sensations indescriptibles, jusqu’à ce qu’une bribe de lueur réapparaisse, étrangement douce et tamisée. Dans ce pénombre dorée, on distinguait à peine les silhouettes, mais on percevait qu’elles… changeaient. Se dissolvaient ? S’harmonisaient ?


Au même instant, un hurlement muet traversa l’esprit de Mira, de Hayden, de Naïra, de Yara. Pas un cri de terreur, non : plutôt l’écho d’une révélation en train de naître, un jaillissement intérieur qui ne pouvait s’exprimer qu’en sensations pures.


Là, dans cet espace hors du temps, quelque chose ou quelqu’un semblait leur parler.


Et c’est ainsi que le chapitre s’acheva, suspendu dans ce vertige ultime. L’équipage du Stella Argus venait de franchir le seuil. Quelles conséquences aurait ce passage pour leur intégrité, leur perception de la réalité, et peut-être même l’avenir de l’humanité ? Aucune réponse n’était encore possible. Il ne restait qu’un seul fait avéré : ils étaient entrés dans la lumière.


Chapitre 4 : La Traversée et la Transformation


1. Le “réveil” dans l’inconnu

Un silence quasi absolu enveloppait le Stella Argus lorsque Mira Galen rouvrit les yeux. Son premier réflexe fut de chercher la lumière des voyants du cockpit, mais tout lui parut soudain noyé dans une pénombre dorée aux reflets irréels. Un léger vertige la saisit : pendant un instant, elle ne sut plus où était le haut, où était le bas.


— Hayden ? Naïra ? articula-t-elle dans un souffle.


Sa voix semblait résonner étrangement, comme si l’espace même absorbait ses mots avant de les renvoyer sous une forme plus lointaine. Elle distingua alors la silhouette de Naïra Savel, recroquevillée sur son siège, un bras pressé contre sa poitrine. Ses yeux s’ouvrirent lentement, brillant d’un éclat presque surnaturel.


— Je suis là… murmura Naïra, son regard dérivant sur les parois du vaisseau.


À quelques mètres, Hayden Sullivan et la capitaine Yara Ossei émergeaient eux aussi. Hayden, le visage marqué par la fatigue, tâtonna pour rallumer son écran de contrôle, en vain. Autour de lui, les consoles semblaient en veille, privées de tout signal, alors que l’extérieur dégageait encore cette clarté diffuse et étrange.


— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il, la voix enrouée, comme s’il sortait d’un long sommeil.

— On a franchi le seuil, répondit Mira, le cœur battant, et… après, c’est le noir complet dans mes souvenirs.


Un grésillement imperceptible attira leur attention. Une petite diode verte scintillait faiblement sur l’un des pupitres ; c’était le système de survie, sans doute alimenté par une batterie de secours. Yara se pencha sur les commandes, vérifiant la pression cabine. Les relevés confirmaient que l’air restait respirable, mais elle n’arrivait pas à déterminer combien de temps dureraient les réserves d’énergie.


— On ne peut pas rester dans cet état indéfiniment, lança-t-elle. Si les systèmes ne redémarrent pas, on est en sursis.


Pendant ce temps, Naïra se redressa et posa une main tremblante contre le hublot. Au-delà de la vitre, l’espace semblait à la fois vide et saturé d’une lueur dorée mouvante. Aucune étoile reconnaissable, aucune nébuleuse habituelle, juste ce voile lumineux qui palpitait par endroits, comme si de petites vagues d’énergie se croisaient dans un océan inconnu.


— Regardez, souffla-t-elle. On ne voit plus la nébuleuse de Carina, ni aucune trace du portail tel qu’on l’a traversé.

— Tu veux dire que nous sommes… ailleurs ? balbutia Hayden, le souffle coupé.


Mira avança à son tour, encore sonnée, pour examiner ce qu’il restait de leurs instruments. La plupart des données affichaient des messages d’erreur ou des relevés aberrants, sans cohérence aucune. Le temps paraissait se distendre, comme s’ils flottaient hors de tout repère spatial ou temporel.


— Les capteurs ne reconnaissent plus notre position, annonça-t-elle d’une voix blanche. Comme si nous n’étions plus dans notre galaxie ou… notre dimension.


Une vague de panique menaçait de submerger l’équipage. Chacun, à sa manière, cherchait un ancrage : Yara se raccrochait aux procédures de survie, Hayden s’acharnait à bidouiller les systèmes, Mira tentait de rationnaliser en listant mentalement les hypothèses possibles. Quant à Naïra, elle ferma les yeux, essayant de calmer son esprit. Elle percevait, derrière son appréhension, une sensation encore plus étrange : celle d’une présence impalpable qui effleurait sa conscience.


— Je ne saurais expliquer ce que je ressens, avoua-t-elle dans un murmure, mais j’ai la nette impression que… cette lumière nous observe.


Le silence retomba, lourd de questions. Seul un léger grésillement électrique indiquait que le Stella Argus n’était pas totalement inerte. Peu à peu, leurs yeux s’habituaient à cette pénombre teintée d’or ; leurs esprits, en revanche, peinaient à admettre l’évidence : ils étaient perdus dans une zone de l’univers qui échappait à toutes leurs certitudes.


— Nous devons rester unis, déclara finalement Mira, le dos appuyé contre un siège pour ne pas vaciller. On ignorait si on survivrait en franchissant ce portail… mais nous sommes là, vivants. Peut-être que ça signifie quelque chose.


Un léger écho sembla répondre à ses paroles, comme si l’espace tout autour vibrait à l’unisson. L’équipage le perçut sans pouvoir mettre de mots dessus, un frémissement à la frontière de l’audible. L’impression de se trouver au seuil d’un secret colossal s’intensifia.


— Sur le plan technique, on ne tiendra pas indéfiniment, trancha Yara d’une voix ferme. Il faut trouver un moyen de rétablir nos systèmes. Sans propulsion ni navigation, impossible de repartir.


— Et si repartir n’est plus une option ? hasarda Hayden, malgré lui.


Chacun sentit le vertige que cette phrase ouvrait sous leurs pieds. Si le retour était impossible… alors quelle était leur destinée en ce lieu ? Que trouvaient-ils, et surtout, que signifiait cette lumière silencieuse ? Dans l’obscurité étrange du cockpit, les protagonistes comprirent que l’aventure commençait réellement maintenant : ils allaient devoir faire face à l’inconcevable, sans autre guide que leur courage, leur solidarité et les bribes d’intuition qu’ils pourraient glaner.


À l’extérieur, la lueur dorée paraissait respirer doucement, comme un organisme géant dont ils ignoraient tout. Et, dans leur “réveil” encore embrumé, la plus grande question planait : l’Horizon Lumineux n’était-il qu’une porte vers un autre espace, ou bien vers une autre forme de conscience ?


2. Des phénomènes au-delà de la physique

Une fois son esprit un peu remis de la sidération initiale, Mira Galen décida de tenter un nouveau diagnostic des systèmes. Accroupie près d’une console à la lueur incertaine, elle rebranchait patiemment des câbles qui lui semblaient encore fonctionnels. Aucun écran ne daignait cependant offrir la moindre lecture cohérente.


— J’ai réactivé une partie du bloc d’alimentation, annonça-t-elle à voix basse. Mais les capteurs ne renvoient que des codes d’erreur. Comme si les lois physiques qu’ils sont censés mesurer… n’existaient plus de la même façon.


Derrière elle, Hayden Sullivan s’approcha, parcourant du regard les quelques chiffres clignotants. Les fréquences d’ondes, les mesures de champ magnétique, la gravité locale : tout affichait des valeurs « hors normes », parfois négatives ou contradictoires.


— On pourrait croire que nous sommes dans un espace aux constantes variables… fit-il, le regard perdu.


— Ou qu’il n’y a plus de “constantes” du tout, répliqua Mira avec un frisson involontaire.


Près du hublot, la capitaine Yara Ossei tentait d’évaluer leur situation spatiale. Elle ne percevait plus ni étoiles ni nébuleuses au-dehors. À la place, un vaste « nuage » lumineux s’étendait à perte de vue, ponctué de taches plus sombres, comme des reflets inversés. Par moments, elle croyait discerner des motifs géométriques qui se formaient et se dissipaient en silence, comme s’ils étaient composés de particules changeantes.


— On dirait une mer de lumière, murmura-t-elle. Mais je ne saurais dire à quel point c’est éloigné ou proche. Nos repères de taille, de distance… tout semble faussé.


Naïra Savel, penchée au-dessus d’un moniteur éteint, sentait à nouveau cette étrange pulsation lui parcourir l’esprit. Plus qu’une pulsation : un appel, presque un chant secret. Elle se retourna vers ses compagnons, essayant de comprendre comment décrire l’indescriptible.


— Je… ressens comme une marée, expliqua-t-elle d’un ton hésitant. Comme si ce “paysage” nous traversait autant que nous le traversons.


Hayden ouvrit la bouche pour réagir, mais la referma aussitôt. Comment la contredire alors qu’il sentait lui aussi un décalage dans sa perception ? Il avait l’impression que le temps n’était plus linéaire, que la moindre seconde pouvait s’étirer ou se contracter. Il lui sembla même avoir « sauté » un battement de cœur, comme si son corps s’accordait malgré lui à ce nouveau rythme.


— Suis-je le seul à éprouver… un sentiment de dédoublement ? osa-t-il demander. Par moments, j’ai l’impression d’être ici et ailleurs en même temps.


Mira, encore à genoux devant le panneau électrique, jeta un coup d’œil inquiet à Hayden. Elle-même ressentait des sensations troublantes : des bribes de souvenirs ou de rêves qui n’étaient pas les siens, l’impression de percevoir fugacement la présence de ses compagnons sans les voir. Était-ce une forme d’hallucination collective due au stress, ou une manifestation intrinsèque à ce nouveau « lieu » cosmique ?


— Il est possible que cette zone perturbe notre cerveau au niveau électromagnétique, expliqua-t-elle d’une voix tendue. Ou alors, nous sommes réellement dans un environnement où l’esprit interagit autrement avec la matière.


Yara, poussée par son instinct d’exploratrice, tenta d’ouvrir une écoutille pour accéder à la petite soute, histoire de vérifier si certaines provisions ou équipements demeuraient intacts. En franchissant la porte, elle sentit un changement brusque de gravité : ses pieds décollèrent légèrement du sol, puis retombèrent. Le phénomène dura à peine une seconde, mais le malaise persista dans tout son corps.


— On a des fluctuations de gravité interne, constata-t-elle, la voix blanchie par l’émotion. Rien de dangereux pour l’instant, mais ça veut dire que nous ne contrôlons plus grand-chose.


Dans la cabine principale, l’éclairage vacilla un instant, passant d’une lumière jaunâtre à un scintillement blanchâtre, avant de revenir à la pénombre dorée. Ce simple va-et-vient suffisit à désorienter tout le monde ; certains clignèrent des yeux pour dissiper des taches colorées qui dansaient devant leur rétine.


— C’est comme si ce lieu réécrivait nos sens, souffla Naïra, troublée.


Elle aurait voulu trouver des mots rassurants, mais elle ne possédait ni explication mystique sûre, ni certitude rationnelle. Seulement cette intime conviction qu’ils se trouvaient face à quelque chose de plus grand qu’eux.


Durant de longues minutes, l’équipage tâtonna ainsi, tentant de recouvrer une forme de stabilité. Chaque tentative de comprendre échouait dans une marée d’hypothèses contradictoires. Le temps semblait se déliter, les distances se jouer de leurs perceptions, et les instruments eux-mêmes se mutinaient en affichant des suites incohérentes.


Et pourtant, au fond de ce chaos, un sentiment d’émerveillement se propageait peu à peu. Car, malgré la peur et la confusion, chacun ressentait la grandeur de ce qu’ils vivaient : un plongeon dans un état du cosmos inconnu, où les lois humaines et les modèles établis ne suffisaient plus.


— Je ne sais pas si c’est un rêve ou un cauchemar, lâcha Mira avec un sourire nerveux. Mais c’est sans doute la plus incroyable expérience que nous aurons jamais l’occasion de vivre.


Hayden, appuyé contre une cloison pour retrouver son équilibre, esquissa un rictus incertain :

— Je ne suis pas prêt d’oublier ce voyage… si jamais on s’en sort.


Le silence retomba, ponctué de claquements métalliques et de grésillements technologiques. Dans le lointain, les nappes lumineuses ondulaient toujours, pareilles à un océan de brume dorée. À chaque pulsation, on percevait un frémissement qui paraissait résonner au plus intime d’eux-mêmes. Peut-être, songèrent-ils, avaient-ils découvert ce dont rêvaient depuis des millénaires tous les astronomes, tous les mystiques, tous les rêveurs : un passage vers l’inimaginable, là où la physique et la conscience se rejoignaient en une symphonie inconnue.


3. Réactions personnelles et tensions intérieures

Les couloirs étrangement silencieux du Stella Argus résonnaient parfois d’un grésillement fugace : ici un néon qui clignotait, là un système de ventilation qui s’emballait quelques secondes, avant de revenir à une forme de quiétude anormale. Dans cet univers doré, où chaque repère semblait vaciller, l’équipage luttait contre le vertige psychique.


Mira Galen, la main fermement agrippée à une barre de maintien, s’efforçait de passer en revue des hypothèses, tentant d’imprimer un semblant de rationalité sur la situation. D’ordinaire, elle aimait l’ordre, la méthodologie, les équations. Mais désormais, aucune formule ne venait expliquer la lumière mouvante, ni l’impression qu’elle-même… “glissait” parfois hors de sa propre conscience.


— Tu tiens le coup ? demanda-t-elle en s’adressant à Hayden Sullivan, qui s’activait près d’un pupitre.


— Pas vraiment, répondit-il, la voix teintée d’un rire nerveux. Chaque fois que je crois avoir une piste, les données deviennent incohérentes.


Malgré son agacement, le scientifique jetait des coups d’œil réguliers à la vitre panoramique, fasciné par l’étendue lumineuse. Il se sentait petit, dépassé, presque humble devant ce qu’il pressentait être un phénomène allant au-delà de tout ce qu’il avait pu étudier.


— La capitaine est partie vérifier la soute, reprit Hayden. Elle espère encore qu’on pourra remettre la propulsion en marche.


Mira acquiesça, tout en secouant légèrement la tête :

— Vu l’instabilité de l’environnement, je doute qu’on puisse simplement “repartir” comme si de rien n’était.


À quelques mètres d’eux, Naïra Savel était assise à même le sol, en position de méditation, le dos contre la cloison. D’ordinaire calme, la mystique semblait aujourd’hui en proie à de violents conflits intérieurs. Ses paupières closes ne lui offraient aucun répit : des images étranges lui traversaient l’esprit, des rêves aux motifs géométriques qu’elle ne parvenait pas à nommer. À chaque pulsation de la lumière extérieure, une onde de chaleur lui parcourait l’échine.


— Naïra ? appela Mira, en se rapprochant prudemment d’elle.


La jeune femme rouvrit lentement les yeux. Son regard, d’habitude si clairvoyant, était habité d’une lueur à la fois émerveillée et apeurée.

— Je ressens cette présence qui grandit, murmura-t-elle, ses mains tremblant légèrement. C’est comme… une intelligence qui nous effleure. Ou un chant auquel on ne saurait résister.


Hayden, qui était sur le point d’intervenir, marqua un temps. Une part de lui-même voulait balayer cette notion de “présence” comme une élucubration, mais il ne pouvait nier avoir éprouvé, lui aussi, d’étranges sensations — comme si un courant intérieur l’entraînait vers l’avant, vers plus de lumière encore.


— J’avoue, finit-il par dire, qu’il y a un truc… un truc que je ne m’explique pas. Je suis presque sûr d’avoir rêvé “en même temps” que vous, il y a quelques minutes. Comme si nos esprits s’étaient…


Il ne put achever sa phrase, tant l’idée semblait lui brûler la langue. Mira posa une main rassurante sur son épaule. Les tensions dans l’équipage ne tenaient pas qu’au risque d’une panne fatale ou au défi scientifique : elles naissaient aussi de la crainte de perdre pied, de se laisser happer par un phénomène pouvant altérer leur conscience.


Au même moment, la capitaine Yara Ossei revint de la soute, la mine sombre. Elle se fraya un chemin entre un panneau arraché et quelques caisses renversées, visiblement secouée.

— J’ai du nouveau, annonça-t-elle en s’adressant au groupe. Le générateur de secours continue d’alimenter la cabine, mais la propulsion principale est hors service. Pire encore : on dirait que le circuit est comme… enchevêtré de fils de lumière.


— Comment ça, “de lumière” ? s’étonna Hayden.


— Je ne saurais l’expliquer. Des filaments dorés, translucides, courent le long des câbles. On dirait un parasite énergétique.


Ce compte-rendu suscita un silence lourd. Les regards se croisèrent, conscients de ce que cela impliquait : le Stella Argus était peut-être littéralement en train de fusionner avec l’environnement inconnu — ou d’être absorbé par lui.


— Alors, nous sommes bloqués, résuma Mira, la voix tremblante malgré elle.


— Pour l’instant, oui, confirma Yara. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je compte bien trouver un moyen de libérer la propulsion.


Le ton déterminé de la capitaine laissait entendre qu’elle n’allait pas renoncer facilement. Cependant, chacun sentait la portée de ce constat : s’ils ne parvenaient pas à “nettoyer” ces mystérieux filaments, ils resteraient prisonniers. Dans ce huis clos doré, les personnalités réagissaient de plus en plus différemment.


— Peut-être que nous devons nous laisser faire, murmura alors Naïra, comme si elle avait saisi un écho lointain.


— Qu’est-ce que tu racontes ? s’alarma Mira.


Naïra releva lentement le visage, soutenant le regard inquiet de la scientifique.

— J’ai le sentiment que nous luttons contre une force qui ne cherche pas à nous détruire, mais à nous intégrer ou à communiquer.


Ses mots firent l’effet d’une décharge électrique. Hayden fronça les sourcils, hésitant entre l’agacement et l’attirance pour cette idée déroutante. Yara, plus pragmatique, secoua la tête :

— Je ne suis pas sûre de vouloir qu’on “m’intègre” dans je ne sais quoi.


Face à elles, Naïra pinça ses lèvres avant de reprendre :

— Je comprends. Moi aussi, j’ai peur. Mais si cette lumière voulait nous anéantir, elle l’aurait déjà fait. Or, elle nous maintient en vie, elle alimente même certains de nos systèmes. Je ne dis pas qu’on doit se jeter dans ses bras, mais qu’il serait peut-être temps d’ouvrir nos esprits à la possibilité qu’il se passe quelque chose de plus grand, ici.


Mira s’aperçut qu’elle retenait son souffle. Une tension insupportable courait entre ses épaules. À force de vouloir tout expliquer, tout réparer, tout contrôler, elle en oubliait presque que cette expédition avait pour but de “rencontrer” un mystère. Les questions fusaient dans sa tête : Jusqu’où pouvaient-ils aller sans se perdre ? Comment résoudre le dilemme entre leur instinct de survie et la tentation d’approfondir l’inconnu ?


La conversation s’interrompit un instant lorsqu’une nouvelle fluctuation de lumière caressa les parois, faisant naître des reflets dansants. Sur le sol, des ombres vacillèrent, comme animées d’une vie propre. Il y eut un instant de recueillement collectif, où chacun, à sa manière, sentit qu’il approchait d’un point de bascule.


— Je propose qu’on se donne un peu de temps, articula finalement Mira. Juste pour calmer nos esprits, s’organiser et décider d’une marche à suivre… sans céder à la panique ni à la fascination.


Personne ne s’y opposa. Yara soupira, soulagée d’avoir un semblant de plan, même sommaire. Hayden acquiesça, l’air encore indécis. Naïra, les paupières lourdes, se rassit près de la cloison pour tenter de calmer la tempête intérieure qui l’agitait.


Dans le silence qui suivit, chacun comprit à quel point la situation demeurait précaire. Les tensions grandissaient, non seulement entre les individus, mais aussi au plus profond de chacun. Car survivre dans un monde inconnu n’était plus seulement une question de technique : c’était aussi un défi pour la raison et la foi, pour l’identité même de ceux qui s’aventuraient si loin dans la lumière.


4. Une rencontre ou une communication

Le calme relatif qui suivit la discussion fut subitement troublé par un phénomène encore plus étrange que les précédents. Alors que l’équipage tentait de reprendre ses esprits, la lueur dorée, à l’extérieur, se mit à scintiller d’une manière inédite. Il ne s’agissait plus seulement d’ondes visuelles : c’était un véritable rythme, une “séquence” lumineuse qui palpitait comme un code.


— Vous voyez ça ? s’exclama Hayden, fixant le hublot. On dirait un signal… un langage, peut-être.


Intriguée, Mira Galen s’approcha à pas lents, sentant sous ses semelles un sol qui semblait parfois “mou” comme un tapis instable. Elle eut un sursaut en constatant que, sur les panneaux de contrôle restés éteints, des phosphènes colorés apparaissaient brièvement, comme si la lumière extérieure cherchait à infiltrer le vaisseau.


— C’est un motif répétitif, confirma-t-elle, les yeux rivés sur la baie vitrée. Deux pulsations longues, trois rapides, puis une irisation plus diffuse… et ça recommence.


Naïra Savel, encore secouée par ses ressentis antérieurs, s’avança à son tour. Son cœur battait la chamade, tiraillé entre la crainte et une certitude quasi viscérale qu’une conscience, ou quelque chose s’y apparentant, essayait de communiquer.


— J’ai l’impression qu’elle nous “appelle”, souffla-t-elle, sa voix vibrante d’émotion.


— Si c’est vraiment un message, comment répondre ? demanda Yara Ossei, en vérifiant par réflexe ses instruments de navigation toujours inertes.


Hayden, la gorge sèche, eut alors une intuition : pourquoi ne pas inverser le principe ? Envoyer, à l’aide d’une source lumineuse, une séquence en retour ? Certes, la plupart des équipements d’émission ne fonctionnaient plus, mais il restait peut-être moyen de forcer quelques diodes d’urgence à clignoter selon un schéma choisi.


— On peut essayer ça, proposa-t-il en se dirigeant vers un panneau électrique de secours. Je peux bricoler une impulsion contrôlée pour faire clignoter les balises internes du Stella Argus.


— Fais-le, trancha Mira. De toute façon, nous sommes déjà dans l’inconnu le plus total.


Tandis qu’Hayden reliait en hâte quelques fils, la capitaine Yara restait en retrait, partagée entre l’inquiétude pour la sécurité du vaisseau et l’étrange sentiment qu’ils étaient sur le point d’établir un contact historique. Elle ne croyait pas aux rêveries ésotériques, mais elle savait reconnaître quand une situation défiait la logique habituelle.


Au bout de quelques instants, un flash discret illumina l’intérieur du Stella Argus, rythmé par le protocole que Hayden venait d’improviser. Des impulsions longues, puis trois brèves, puis une autre plus faible. L’équipage attendit, le souffle court, chaque seconde leur paraissant interminable.


Puis, à l’extérieur, la pulsation dorée cessa momentanément, comme si le vortex hésitait ou “réfléchissait”. Une subtile vibration parcourut la coque du vaisseau, faisant résonner un son grave, presque guttural. Soudain, l’espace tout entier sembla s’allumer en un unique éclair d’or, qui se réfracta sur la vitre panoramique.


— Oh mon Dieu… souffla Mira, éblouie.


Dans le flash se dessinèrent des formes évanescentes, comme des silhouettes abstraites composées de filaments lumineux. L’une d’elles sembla se rapprocher de la paroi du Stella Argus, effleurant la tôle d’une sorte de bras luminescent. Naïra eut l’impression que “quelqu’un” (ou “quelque chose”) tentait de fusionner son regard avec le sien.


Elle ressentit une décharge émotionnelle, un flot d’images et de sensations qui ne lui appartenaient pas : galaxies en rotation, chants stellaires, pulsations d’énergies à travers le temps et l’espace. C’était comme si cette entité lui communiquait, en un instant, une mosaïque d’expériences immémoriales.


— Je… je vois des choses… réussit-elle à articuler en se tenant la tête.


Hayden, Mira et Yara virent soudain leurs propres pensées brouillées, comme si un écho de la vision de Naïra se répercutait sur eux. Dans cette surimpression mentale, le vortex n’était plus seulement une curiosité cosmique : il était le seuil d’une conscience vénérable et plurielle, immensément ancienne, cherchant à établir un contact.


Le flash se dissipa, redonnant au cockpit son éclairage orangé et tremblotant. Les silhouettes éthérées disparurent aussi vite qu’elles étaient venues, laissant l’équipage pantelant, les mains crispées sur les parois ou les consoles. Un silence assourdissant retomba, où l’on n’entendait plus que les respirations haletantes.


— Je ne sais pas ce que c’était, souffla Yara, la gorge nouée.


— Mais “ça” nous a répondu, constata Hayden d’une voix blanche, en regardant ses balises clignoter.


Naïra, encore submergée par la vague de visions, fixa ses compagnons avec des yeux où se mêlaient la peur et un émerveillement douloureux. Elle savait, au plus profond d’elle-même, que leur odyssée venait de prendre une dimension plus vaste : ils n’étaient pas simplement dans un autre lieu, mais face à une forme de vie — ou de conscience — qui se révélait à eux.


L’équipage, vacillant, comprit qu’il venait de franchir une barrière encore plus radicale que celle de l’Horizon Lumineux. En ce point extrême, à mille lieues de toutes leurs certitudes, une “rencontre” venait d’avoir lieu, ouvrant la porte à d’innombrables questions : que signifiait ce message ? Était-il bienveillant, ou guidait-il vers un nouvel abîme ? Et surtout, comment l’esprit humain, avec ses limites, pourrait-il assimiler une telle révélation ?


5. Premières conséquences et choix décisif

Le choc de la “rencontre” laissa l’équipage en état de sidération. Chacun essayait, à sa manière, de se remettre de l’intense communication perçue — ou subie. Le flux de visions et de sensations, s’il avait duré à peine quelques secondes, continuait de résonner en eux comme un écho insistant.


Mira Galen, appuyée contre un panneau, sentait son cœur battre à tout rompre. Elle ferma les yeux pour tenter de rassembler ses pensées. Les images qui lui tourbillonnaient dans l’esprit ne ressemblaient à rien de connu : elle avait entrevu d’immenses structures cosmiques, des spirales de lumière fusionnant avec des entités indistinctes, et surtout, la sensation qu’un “message” lui était adressé.


— Tu vas bien ? demanda Hayden Sullivan, pâle et tremblant.


— Je… pense que oui, balbutia Mira. Mais je ne suis pas sûre de comprendre ce qui nous est arrivé.


Près du hublot, Naïra Savel se forçait à garder les yeux ouverts. Ses tempes pulsaient, douloureuses, comme si l’énergie du vortex martelait son crâne. Pourtant, au milieu du tumulte, elle percevait plus clairement que jamais la présence bienveillante — quoique déconcertante — qui avait cherché le contact.


— Il y a tant de choses que cette lumière souhaite… partager, lâcha-t-elle d’une voix fiévreuse. J’ai cru sentir un désir de communion, mais aussi… un avertissement.


Yara Ossei, la capitaine, s’accrochait à la console de navigation, dont l’écran restait obstinément noir. Elle avait vu, elle aussi, ces silhouettes d’or et d’argile, si fugaces, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que l’équipage demeurait en grand danger.


— Quoi qu’il en soit, nous ne pourrons pas rester ici éternellement, trancha-t-elle d’une voix grave. Il faut déterminer si un retour est encore possible.


Hayden hocha la tête :

— Ou alors, tenter d’aller plus loin — si cette “intelligence” veut bien nous guider.


Un échange de regards se produisit entre les quatre. L’idée qu’ils puissent volontairement s’enfoncer plus avant dans cet inconnu, alors qu’ils n’avaient aucune garantie d’en revenir, était aussi angoissante que fascinante. La tension était palpable, comme si le choix qui s’annonçait déciderait non seulement de leur propre sort, mais aussi de ce qu’ils allaient rapporter — ou non — à l’humanité.


— C’est insensé, songea Mira à voix haute, tout en sentant poindre une lueur d’exaltation dans son esprit.


— Peut-être… répliqua Naïra, dont la voix se fit plus posée, mais je crois que nous vivons un moment qui dépasse la simple exploration scientifique. Nous sommes appelés, d’une certaine façon.


— Et si c’est un piège ? objecta Yara.


Un court silence suivit, chacun pesant cette éventualité. Mais les visions, si troublantes soient-elles, n’avaient pas la saveur d’une menace pure : elles portaient en elles le souffle d’une immensité vivante.


— Dans tous les cas, poursuivit Hayden en désignant du menton le tableau de bord inerte, notre vaisseau ne répond plus. Nous sommes coincés.


— Pas forcément, rétorqua Mira, en retrouvant un semblant d’assurance. Il reste des voies possibles : tenter de dégager la propulsion, ou utiliser cette “communication” pour savoir comment sortir d’ici.


À cet instant, un nouveau bourdonnement se fit entendre dans la cabine, plus doux que les précédents, comme une note grave qui vous effleure le tympan. Les voyants d’urgence se remirent brièvement à clignoter, avant de s’éteindre dans un souffle. C’était comme si la “présence” signait, encore une fois, sa volonté de se manifester.


— C’est un dialogue, murmura Naïra, soudain pétrifiée par la force de cette conviction. Soit nous répondons, soit nous restons isolés.


Les quatre membres de l’équipage se tournèrent vers la baie vitrée. Au-dehors, la lumière dorée semblait s’être rapprochée, formant une sorte de halo flottant juste derrière la paroi du vaisseau. Il émanait de ce halo une intensité palpable, un souffle qui les invitait — ou les défiait.


— Alors, il va falloir décider, lâcha finalement Yara, rassemblant tout son courage. Tenter de fuir, ou…


— …accueillir ce que cette lumière veut vraiment nous dire, acheva Mira, la gorge serrée.


Un vertige commun les saisit. D’un côté, l’instinct de survie hurlait qu’il fallait à tout prix s’échapper ; de l’autre, la conscience émergente qu’une merveille unique, peut-être l’ultime découverte pour l’humanité, se tenait à leur portée. Et plus ils hésitaient, plus le halo lumineux semblait vibrer d’impatience.


Ils allaient devoir choisir.


Ainsi se refermait ce chapitre, laissant l’équipage du Stella Argus à la croisée des chemins : abandonner le contact et risquer de mourir à petit feu dans un vaisseau en panne, ou franchir un ultime seuil, plus intérieur que spatial, vers une communion totale avec l’inconnu. Le bruissement de la lumière ne laissait aucun répit à leur dilemme : quoi qu’ils fassent, la suite de leur périple changerait irrévocablement leur destinée — et peut-être celle de l’humanité entière.


Chapitre 5 : La Communion ou le Renoncement


1. L’ultime choix

Malgré la pénombre dorée qui baignait l’intérieur du Stella Argus, l’équipage discernait plus clairement que jamais l’enjeu de la situation. Le halo lumineux, tout proche du hublot, vibrait avec régularité, émettant des scintillements comme autant de signaux. Sa présence semblait emplir chaque recoin de la cabine, jusqu’au cœur même de ceux qui l’occupaient.


Dans le silence, tous se demandaient s’il n’était pas déjà trop tard pour faire marche arrière. La capitaine Yara Ossei fut la première à rompre l’immobilité. Elle se redressa, la mâchoire contractée, et jeta un coup d’œil à son tableau de bord toujours inerte.


— On ne tiendra pas longtemps dans ces conditions, déclara-t-elle. Notre réserve d’énergie diminue, les propulseurs sont inaccessibles, et la température intérieure finira par chuter si la batterie secondaire lâche.


Son regard se posa sur Mira Galen, dont le visage laissait transparaître un tourbillon d’émotions contradictoires. Mira savait qu’ils ne pouvaient demeurer dans cet “entre-deux” indéfiniment. Mais chaque fois que son esprit cartésien la poussait vers une solution de repli, un élan intime — né de l’inexplicable expérience qu’elle avait vécue — lui soufflait de tenter l’impossible.


— Que proposez-vous ? demanda-t-elle, la voix atone.


Yara poussa un soupir, écartant les bras comme pour admettre son impuissance.

— Soit nous essayons de forcer un chemin retour, en libérant la propulsion des filaments qui la parasitent… soit nous allons de l’avant.


Au mot “avant”, un silence chargé de sens recouvrit le groupe. Tous savaient ce qu’il impliquait : se rapprocher encore de la lumière, répondre à son “appel” et prendre le risque de s’y perdre. Hayden Sullivan, adossé à une cloison cabossée, scruta tour à tour la capitaine et Mira.


— Je… je peux essayer de dégager la propulsion, lança-t-il d’un ton hésitant. Mais ça prendra du temps et je ne suis pas sûr d’y arriver.


— Sans oublier que ces filaments dorés ont l’air… vivants, ajouta la capitaine, pinçant les lèvres. Les arracher de force pourrait aggraver la situation.


Naïra Savel, qui avait écouté en silence, intervint alors d’une voix douce :

— Et si le “retour” n’existait plus sous sa forme initiale ? Nous avons traversé un portail vers une réalité qui bouleverse nos sens et nos certitudes. Peut-être devrions-nous envisager que la solution n’est pas technique… mais intérieure.


Yara fronça les sourcils, peu encline à se fier au mysticisme pour sauver l’équipage.

— On ne peut pas tout miser sur un ressenti.


— Je le sais, répliqua Naïra, mais vous l’avez ressenti, vous aussi. Cette force ne nous a pas détruits. Elle a cherché à communiquer. Peut-être veut-elle nous montrer une autre voie… un “retour” possible, mais à sa manière.


Le débat s’enflamma tandis que chacun essayait de mettre en mots ses peurs et ses intuitions. Mira, en particulier, ressentait un tiraillement violent : d’un côté, son esprit scientifique lui ordonnait de trouver des solutions rationnelles ; de l’autre, elle ne pouvait ignorer l’impact des visions et l’impression tenace que quelque chose de plus grand qu’eux les invitait à une forme de “communion”.


— Très bien, trancha-t-elle finalement en se passant la main sur le visage. Je vous propose qu’on se donne encore un court délai pour décider. Hayden et Yara, vous tentez de libérer les propulseurs. Naïra et moi allons essayer de comprendre si le phénomène peut nous offrir une “issue”… ou un dialogue qui nous rende à notre univers.


— Ça me paraît être un compromis honnête, approuva Hayden.


— Quoi qu’il en soit, reprit la capitaine avec une gravité palpable, nous devrons faire un choix avant que nos réserves ne soient épuisées. Franchir le pas… ou renoncer et s’acharner à rentrer chez nous.


Un silence pesant accueillit ses paroles. Dans ce vaisseau à la dérive, où même la notion de temps semblait distordue, l’idée d’une échéance concrète s’imposait comme un fil de survie. Chacun hocha la tête, résigné à cette ultime course contre la montre.


Au-delà du hublot, le halo doré continua de scintiller, comme pour rappeler qu’il attendait leur réponse. Il n’y avait plus de retour possible à l’innocence d’avant : ils savaient désormais que cette lumière recelait une forme de volonté ou de conscience — et qu’elle pouvait, à tout moment, engloutir ou transcender leur existence.


C’est dans cette atmosphère électrique, entre angoisse et espoir, que l’équipage du Stella Argus se prépara à entamer la phase la plus décisive de son périple. Le compte à rebours commençait, et la question restait entière : accepter la communion avec l’inconnu, ou tout faire pour s’en extraire, même si cela revenait à tourner le dos à la plus grande découverte cosmique jamais entrevue par l’humanité.


2. La tentative de réparation ou de “libération”

Sitôt l’accord conclu, l’équipage se scinda en deux groupes. D’un côté, Hayden Sullivan et la capitaine Yara Ossei, bien décidés à s’attaquer de front au problème technique ; de l’autre, Mira Galen et Naïra Savel, prêtes à explorer la piste plus mystérieuse d’une « ouverture » ou d’une entente avec le phénomène lumineux.


Dans la soute : un combat acharné contre les filaments

Hayden et Yara se dirigèrent vers la partie arrière du Stella Argus, où se trouvait le compartiment technique principal. Là, sous un éclairage tremblotant, s’alignaient câbles, modules d’interface et panneaux d’accès à la propulsion. Avant même d’arriver sur place, un constat évident les frappa : ces fameux filaments dorés, semblables à d’étranges racines lumineuses, s’étaient encore étendus.


— C’est encore pire que la dernière fois, maugréa la capitaine en enjambant un enchevêtrement de câbles. Ils ont proliféré à toute vitesse.


— On dirait qu’ils “poussent” dans le métal, constata Hayden. Mais ils n’endommagent pas la structure ; au contraire, c’est comme s’ils la fusionnaient avec… autre chose.


L’angoisse de Yara, elle, n’avait rien de métaphysique. Elle ne voyait là que la possibilité de perdre définitivement le contrôle de son vaisseau. Prenant une barre métallique dans les outils de secours, elle s’agenouilla près du propulseur auxiliaire.


— J’essaie de dégager la zone, expliqua-t-elle, le regard résolu. Tiens-toi prêt à refermer tout de suite la vanne si je libère des flammes ou des vapeurs.


Hayden acquiesça, bien qu’il n’ait aucune certitude sur la réaction chimique ou énergétique que pourrait provoquer le retrait brutal des filaments. Il jeta un coup d’œil aux capteurs de secours, qui projetaient encore des valeurs démentielles à l’écran : variations de champ magnétique, distorsions gravitationnelles…


— Allez, courage, murmura-t-il.


L’instant d’après, la barre métallique plongea dans l’enchevêtrement luisant. Un crépitement aigu résonna, comme si le métal se frottait à une membrane sensible. Yara en eut le souffle coupé quand elle réalisa que les filaments ne se “rompaient” pas vraiment, mais s’effilochaient pour créer de nouveaux brins encore plus fins, presque liquides.


— Ça résiste ! pesta-t-elle en forçant davantage.


Le vaisseau sembla réagir, lâchant un soupir métallique qui fit vibrer la cloison. Hayden, aux aguets, se précipita sur une console annexe pour couper l’alimentation du circuit, espérant que l’absence de courant électrique réduirait l’“accroche” de ces filaments.


— J’ai désactivé la ligne ! cria-t-il à la capitaine.


Un bref scintillement courut alors le long des racines dorées, comme un signal de recul. Certaines s’éteignirent en crépitant, ce qui permit à Yara d’en arracher un morceau, révélant enfin l’accès à la vanne. Une odeur de métal chauffé s’échappa, mal dissimulée par le masque qu’elle portait.


— J’en ai dégagé une petite portion, déclara-t-elle en toussant. Pour le moment, ils ne semblent pas “attaquer” en retour.


— La question est : ce qu’on fait là, est-ce qu’on lutte contre un élément hostile ou est-ce qu’on agresse… un organisme ? se risqua Hayden, songeur.


Yara haussa les épaules sans répondre : elle n’avait pas le luxe de s’interroger davantage. Leur survie dépendait de leur capacité à regagner la puissance de propulsion, quitte à forcer le “destin”.


Dans le poste de pilotage : un appel à la lumière

Pendant ce temps, Mira Galen et Naïra Savel se tinrent dans la cabine de pilotage, là où l’on avait échangé les premiers signaux avec l’entité. L’atmosphère y restait étrange, presque feutrée, comme si la lumière tamisée suggérait un recueillement avant une cérémonie inconnue.


— Je n’ai jamais été une grande adepte de pratiques spirituelles, concéda Mira, un mince sourire nerveux aux lèvres. Mais dans la situation actuelle, je ne vois pas d’autre voie que de… tenter un dialogue intérieur.


Naïra approuva silencieusement. Elle aussi ressentait une appréhension : tout contact véritable impliquait de s’ouvrir, de s’exposer à ce qui pourrait s’avérer une conscience bien plus puissante que la leur.


— La dernière fois, nous avons vu comment les impulsions de lumière pouvaient créer des motifs. Peut-être pouvons-nous, nous aussi, générer un signal “pacifique” via un code similaire, proposa Mira, se rappelant la tentative orchestrée par Hayden quelques heures plus tôt.


— Je vais essayer, acquiesça Naïra. Mais je sens qu’il faudra plus que des signaux lumineux… Il faudra accepter un lien mental.


Ce dernier mot résonna comme un écho dans le cockpit. Mira, malgré sa prudence, ne put nier qu’elle avait déjà éprouvé une forme de connexion — brève, fulgurante — lorsqu’elle avait perçu ces visions cosmiques. C’était comme si la frontière entre elle et le phénomène s’était effacée, lui laissant entrevoir un univers de possibles.


— J’active le balisage interne, annonça-t-elle, tout en pianotant sur un mini-tableau encore opérationnel. Cela créera un clignotement rythmique que nous pourrons moduler.


Naïra, de son côté, se laissa glisser au sol, les jambes croisées, tentant de calmer sa respiration. Elle ferma les yeux. Dans l’obscurité légère, sa conscience se focalisa sur cette étrange lueur qui entourait le vaisseau, la considérant non plus comme une simple force extérieure mais comme une entité douée d’une “vie” propre.


— Si tu peux nous entendre… murmura-t-elle intérieurement, je t’en prie, montre-nous que tu n’es pas seulement un piège. Dis-nous comment nous sortir de là… ou comment avancer sans nous perdre.


Mira, observant l’aura de concentration qui se dégageait de sa compagne, ne put s’empêcher de frissonner. Elle ignorait si cette approche tiendrait davantage de la méditation ou de la télépathie improvisée, mais elle sentait un certain alignement entre elles et la lueur environnante. Les diodes internes clignotaient désormais en un motif lent et rassurant, presque comme des battements de cœur.


— Et maintenant ? songea-t-elle, attentive au moindre sursaut dans l’air.

— Maintenant, on attend une réponse… ou un signe, murmura Naïra sans ouvrir les yeux.


Un instant de bascule

Ainsi, d’un côté du vaisseau, on luttait pied à pied, barre de métal en main, pour arracher la coque à des filaments qui semblaient vivants. De l’autre, on tentait une communion subtile, frôlant l’inconnu dans un élan de confiance mêlé de crainte. Dans les deux cas, le temps jouait contre eux. Chaque minute passée dans cette frange d’espace consommait un peu plus leurs réserves d’énergie et érodait le moral de l’équipage.


Un léger frémissement parcourut alors la carcasse du Stella Argus, comme un souffle qui parcourrait la structure de bout en bout. Les ampoules clignotèrent trois fois, et une pulsation profonde résonna dans les tympans de Mira et Naïra. Dans la soute, Hayden et Yara entendirent aussi ce bourdonnement, stoppant net leurs gestes. Un silence lourd leur succéda, interrompu seulement par un grésillement ténu dans les haut-parleurs d’urgence, comme un appel voilé.


— Ça recommence, souffla Mira.

— On dirait que… quelque chose répond à notre tentative, murmura Naïra, rouvrant les yeux, le visage empreint d’étonnement.


Penchés sur les filaments, Hayden et Yara comprirent que l’ultime choix n’allait plus tarder : poursuivraient-ils leur réparation forcée ou arrêteraient-ils tout pour laisser la lumière “faire” ? Dans le poste de pilotage, Mira et Naïra perçurent cette même urgence. Qu’allait-il se produire maintenant ? Allait-on assister à une forme de “libération” salvatrice ou déclencher la colère — ou l’indifférence — de la conscience cosmique ?


Dans cette tension extrême, l’équipage sentit le Stella Argus frémir une nouvelle fois, comme un poisson pris dans un courant trop puissant. L’instant d’après, chacun sut que la bataille, ou la communion, entrait dans sa phase la plus décisive.


3. La « fusion » ou la rencontre profonde

Le grondement sourd, qui avait parcouru la structure du Stella Argus comme un frisson électrique, s’était tu. Dans la passerelle de pilotage, le silence sonnait désormais comme une attente : celle d’un échange, d’un “passage” dans un univers qui transcendait les repères physiques. Les lumières internes du vaisseau continuaient de palpiter selon la séquence établie par Mira Galen et Naïra Savel, renvoyant un signal rythmique vers la lueur extérieure.


Dans le soute technique, Hayden Sullivan et la capitaine Yara Ossei, interrompus en pleine tentative de désenchevêtrer les filaments, se figèrent. L’un et l’autre perçurent une impression insoupçonnée : il ne s’agissait pas d’un pur silence, mais d’une suspension, comme quand on retient son souffle avant de plonger. Ils se regardèrent, à la fois incrédules et troublés, puis posèrent leurs outils.


— On dirait qu’on nous laisse le choix, murmura Yara, un brin décontenancée.

— La question est : voulons-nous vraiment poursuivre la “réparation” ? répliqua Hayden, tenant encore la pince dans sa main.


L’instant de décision

Un instant plus tôt, ils s’acharnaient encore à arracher, sectionner, isoler ces filaments. À présent, ils pressentaient qu’une autre option s’ouvrait, bien plus radicale : arrêter de lutter et se laisser porter par la présence. Soudain, Hayden se rappela la proposition de Mira et Naïra : peut-être que le salut ne passait pas par la technique, mais par une communion inédite avec ce phénomène.


— Yara… dit-il doucement. Je crois qu’on devrait tout stopper.


La capitaine hésita, ses yeux glissant sur la masse de fils dorés agrippés au réacteur. Son esprit formé à la discipline s’insurgeait : un vrai commandant ne laisse pas son vaisseau à la merci d’une entité inconnue. Pourtant, la conviction qui émanait d’Hayden — et de la situation elle-même — finit par la gagner.


— Très bien, fit-elle dans un soupir résigné. De toute façon, nous n’avons plus grand-chose à perdre.


Délicatement, elle relâcha la pression sur les filaments, puis dégagea son outil. Hayden, dans un geste quasi solennel, coupa les systèmes de secours qu’il avait réactivés. Le compartiment technique plongea dans une pénombre vibrante, à peine troublée par la phosphorescence étrange qui émanait de ces “racines” lumineuses.


— On ne touche plus à rien, confirma-t-il. Voyons ce qu’il va se passer.


L’appel vers la lumière

Au même instant, dans la passerelle de pilotage, Naïra et Mira ressentaient comme un changement d’atmosphère. Les pulsations de la lumière dorée, au-dehors, semblaient s’être rapprochées : au lieu de rester cantonnées à l’espace extérieur, elles pénétraient la cabine de façon plus tangible, comme si de minuscules poussières brillantes envahissaient l’air.


— Elle vient… lâcha Naïra, sa voix troublée.


Mira, qui venait de plisser les yeux pour fixer ces particules dorées, prit conscience de leur densité croissante : une sorte de brume lumineuse flottait maintenant à hauteur d’homme, se mouvant en arabesques, effleurant les parois.


— Je ressens un flux d’énergie, indiqua-t-elle d’un souffle.


Naïra, elle, sentait la conscience de la lumière frôler la sienne. Ce n’était pas une voix, pas même un langage explicite, mais un sentiment d’ouverture, comme si on lui proposait de dépasser les limites de son corps et de son esprit. Une union intime, immédiate.


— Si nous acceptons vraiment ce contact, je crois qu’il n’y aura pas de demi-mesure, expliqua-t-elle. On devra lâcher prise sur ce qui nous définit habituellement.


— Le vaisseau, nos certitudes… tout ce qu’on croyait connaître, acheva Mira, la gorge nouée par l’émotion.


Ni l’une ni l’autre ne furent capables de prononcer un oui franc et clair, mais l’acceptation se lisait dans leurs yeux. Au fond, elles savaient qu’elles étaient venues ici pour ça : non pas seulement étudier l’Horizon Lumineux, mais en faire l’expérience totale.


Alors, comme en écho, la brume dorée ondoya en douceur, gagnant en intensité, et se rassembla autour de leurs silhouettes. Pendant une fraction de seconde, Mira, Naïra — et à l’autre bout du vaisseau, Hayden et Yara — eurent la sensation simultanée que quelque chose pénétrait leur conscience, sondant sans juger, comme un regard bienveillant et infini.


La fusion

Tout se passa en un clignement de paupières. Les personnages se sentirent “arrachés” à leur propre perception du temps. La cabine, les couloirs, la soute… toutes les parois du Stella Argus semblèrent s’évanouir dans un flash vertigineux.


— Oh ! lâcha Yara, dont la main traversa l’air comme si elle cherchait un point d’ancrage.


Hayden crut un instant qu’il tombait dans un puits de lumière. Son cœur, affolé, se calma soudain, baignant dans une sensation de paix inouïe, comme si cette entité cosmicospirituelle le rassurait. Des images affluèrent : galaxies, nébuleuses, fils d’étoiles s’entrecroisant.


Mira, portée par une vague d’émotion, vit défiler des souvenirs intimes : son enfance, son premier regard vers le ciel étoilé, ses études, ses doutes. Elle se sentit portée, aimée, comme si la lumière l’accompagnait dans un rêve lucide.


Quant à Naïra, elle eut la nette vision d’une “cité” tissée de radiances, au cœur de laquelle dansaient des formes humanoïdes et d’autres, plus informes encore — toutes unies dans une même respiration cosmique. Elle pleura sans retenue, tant la beauté lui semblait insupportable et grandiose.


— Vous… qui êtes-vous ? prononça-t-elle en son for intérieur.


Surgit alors un élan d’“informations” : non pas des mots, mais des impressions, comme si une force primordiale lui disait Nous sommes. Pas un “Je suis” singulier, mais un “Nous” collectif, ancien et multiple. L’entité ou la conscience partageait fugacement sa “mémoire” avec les humains.


Chacun, à sa manière, accéda à des fragments de cette mémoire. Ils virent des naissances d’étoiles, la formation de galaxies, des cycles sans fin. Ils comprirent que l’Horizon Lumineux — ou ce qu’il représentait — n’était pas un simple portail, mais un point de contact entre leur espace et un plan de conscience plus vaste.


— Nous recherchons le contact, voulurent-ils formuler, mais l’intention seule suffisait.


La révélation

Dans ce maelström d’images et de sensations, le “dialogue” s’opéra. Un courant d’amour, d’amitié, ou peut-être de simple neutralité bienveillante, se déversa dans le cœur de chacun. Et comme pour sceller l’échange, un dernier flash illumina leurs esprits : la vision fugace d’un chemin de retour possible, comme si la lumière leur montrait la “sortie” du labyrinthe cosmique.


Alors l’éblouissement se dissipa.


Un à un, Mira, Naïra, Hayden et Yara revinrent à une perception plus familière de leur environnement, comme s’ils “atterrissaient” en douceur dans le cockpit ou la soute. La brume dorée ne les avait pas abandonnés ; elle s’était simplement subtilement rétractée, laissant dans l’air une traîne lumineuse qui se résorbait peu à peu.


— Qu’est-ce que… venait de se passer ? balbutia Hayden, les larmes aux yeux, sans comprendre pourquoi.


Yara constata avec stupeur que les filaments dorés qui parasitaient la propulsion reculaient d’eux-mêmes, se dissolvant dans la coque, ne laissant qu’un métal à peine plus tiède. Mira, essoufflée, courut vers la console de navigation : un écran venait de s’allumer, comme par magie.


— Je reçois des données ! s’écria-t-elle, incrédule. De nouvelles coordonnées… Une trajectoire pour… sortir de ce “lieu” ?


Naïra, encore en transe, posa les mains au sol pour ne pas vaciller. Elle sentait un vide, presque une nostalgie, comme si la présence venait de se retirer après avoir partagé un bref instant de communion. Ses lèvres formèrent un merci silencieux.


Ainsi, dans ce moment de fusion cosmique, le seuil était franchi : ils avaient rencontré l’entité, lui avaient permis d’exister en eux, et en retour, elle leur offrait la clé pour regagner l’espace normal. La plus grande question subsistait toutefois : pouvaient-ils désormais retourner à leur ancienne vie ?


Dans leurs cœurs, dans leurs esprits, quelque chose avait changé à jamais.


4. La conséquence immédiate : transformation ou possible retour

Tout se passa si vite que l’équipage du Stella Argus peinait à rassembler ses idées. Les effets de la rencontre cosmique se manifestaient déjà dans les moindres recoins du vaisseau, comme si l’énergie dorée laissait derrière elle un sillage palpable.


Des changements concrets dans le vaisseau

Dans la soute technique, Hayden Sullivan et la capitaine Yara Ossei découvrirent les propulseurs désormais libres de tout filament. La surface métallique, quoique légèrement marquée par de fines stries lumineuses résiduelles, semblait retrouver sa cohésion d’origine.


— Regarde, souffla Hayden, inclinant la tête pour mieux observer une rainure dorée à peine visible sur la coque. On dirait une “cicatrice” où les filaments se sont fondus.


— Ils se sont retirés, ou… intégrés, corrigea Yara, posant doucement la main sur la paroi.


À sa grande stupeur, les écrans auxiliaires encore sous tension affichaient de nouveaux relevés. Les systèmes de propulsion se déclaraient — contre toute attente — “opérationnels”. Personne ne comprenait comment cette restauration avait pu s’effectuer de façon aussi fluide, mais le résultat était là :


— Les diagnostics indiquent qu’on peut tenter une remise en marche, annonça Yara, incrédule.


— Comme si on nous rendait l’usage du vaisseau, murmura Hayden.


Pour la première fois depuis un long moment, un mince espoir se fit jour. Malgré le vertige qui les habitait, ils réalisèrent qu’une voie de sortie se dessinait… à moins que l’équipage ne choisisse de rester davantage dans ce lieu étrange.


Le choc intérieur de la révélation

Pendant ce temps, dans la passerelle de pilotage, Mira Galen et Naïra Savel se remettaient à peine du flux d’images et de sensations qui les avait submergées.


— J’ai cette impression de vaciller, confia Mira, les yeux embués. Comme si une partie de moi était restée “là-bas”.


Naïra acquiesça, des larmes coulant sur ses joues sans qu’elle en prenne vraiment conscience. Elle ressentait encore les échos de cette conscience cosmique, tel un chant lointain dans son esprit.


— Même si nous partons, murmura-t-elle, je sais que rien ne sera plus comme avant.


Leur regard se porta sur la vitre panoramique, où la lueur dorée s’était maintenant distancée, comme un rideau s’écartant pour dévoiler un passage vers la noirceur de l’espace normal. Au loin, derrière ces vagues lumineuses qui se retiraient, on devinait vaguement la silhouette nébuleuse de Carina.


— La porte est en train de s’ouvrir, conclut Mira, la gorge nouée par l’émotion.


Un dilemme existentiel

Alors que Hayden et Yara rejoignaient la cabine pour faire leur rapport, il ne fallut que quelques mots pour comprendre : la lumière leur offrait une issue. Les propulseurs pouvaient être réactivés, et un couloir énergétique semblait se dessiner vers le “dehors”.


— On va pouvoir tenter de regagner notre univers, expliqua Hayden, un mélange de soulagement et de mélancolie au fond des yeux.


— Mais devons-nous vraiment partir ? questionna Naïra à mi-voix, en serrant ses doigts l’un contre l’autre.


Le silence s’abattit. Dans l’inconnu doré, ils avaient fait l’expérience d’une réalité plus vaste, d’une communion qui dépassait tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Partir revenait à refermer la porte — du moins pour un temps.


— Nous avons vu à quel point ce phénomène est colossal, répondit Yara, un brin fébrile. Il nous surpassera toujours. Mais nous avons aussi une responsabilité envers ceux qui sont restés de l’autre côté.


Mira comprit que la capitaine évoquait non seulement le Calliope, Hélios III, mais aussi la Terre, l’ensemble de la communauté humaine. Au-delà de l’émerveillement, un besoin impérieux la poussait à “rapporter la nouvelle”, à partager cette rencontre qui transcendait science et spiritualité.


— C’est vrai, admit Naïra, essuyant ses larmes. Si nous nous perdons définitivement ici, personne ne connaîtra jamais ce que nous avons vécu.


La décision

Tous se regardèrent, sachant qu’ils se tenaient au seuil d’une décision irrémédiable. Demeurer dans la lumière, s’y fondre plus encore ? Ou emprunter la porte qu’elle venait d’entrouvrir pour réintégrer leur propre monde ?


— Nous devons partir, finit par déclarer Mira, la voix hésitante mais résolue. Nous avons traversé l’inimaginable. Il faut maintenant en porter le témoignage.


Hayden, Naïra et Yara acquiescèrent, avec plus ou moins de conviction. Chacun, au fond de lui, savait la nécessité de ce retour — ne serait-ce que pour que l’humanité puisse avancer et, un jour, tenter à son tour de franchir ce seuil en conscience.


Comme un signe d’acceptation, la brume dorée qui flottait encore dans l’habitacle ondula doucement, laissant échapper quelques étincelles éparses. Sur un écran, un tracé de vol se stabilisait : une trajectoire sûre, menant hors de cette dimension et de nouveau vers la nébuleuse de Carina.


— Alors, allons-y, lâcha Yara, s’efforçant de prendre un ton ferme pour dissimuler les tremblements de son cœur.


Ils le savaient : dès lors qu’ils enclencheraient les propulseurs, l’espace et le temps reprendraient leurs droits, et la “fenêtre” qui les avait laissés entrevoir l’autre côté se refermerait. Pourtant, une tranquillité nouvelle les étreignait, comme si la lumière leur avait murmuré : “Ce n’est qu’un au revoir. Vous savez désormais que nous existons.”


Ainsi, au cœur même de la plus grande énigme cosmique jamais approchée par l’être humain, l’équipage du Stella Argus prenait la route du retour, porté par une révélation qui changerait à jamais leur regard sur l’univers — et sur eux-mêmes.


5. Retrouvailles ou isolement

Le Stella Argus vibrait doucement sous l’impulsion de ses propulseurs. L’équipage, encore sous le choc de ce qu’ils venaient de vivre, fixait les écrans où la trajectoire vers l’espace normal s’affichait clairement. L’Horizon Lumineux s’éloignait progressivement, comme une marée dorée qui se retirait après avoir touché leurs âmes.


Dans le poste de pilotage, Yara Ossei, les mains serrées sur les commandes, inspira profondément.

— Le passage est stable, annonça-t-elle. Si tout fonctionne comme prévu, nous devrions émerger à proximité de la nébuleuse de Carina dans quelques minutes.


Mira Galen, assise à ses côtés, n’arrivait pas à détacher son regard du hublot. Le vortex lumineux semblait désormais si lointain, presque irréel. Pourtant, elle savait que tout ce qu’ils avaient traversé resterait gravé en elle à jamais.


— C’est étrange… J’ai l’impression de quitter une partie de moi-même, murmura-t-elle.


— Moi aussi, admit Hayden Sullivan, en vérifiant les derniers relevés.


Naïra Savel, silencieuse jusqu’ici, posa une main sur la paroi du vaisseau. Elle ressentait encore une dernière vibration, un écho résiduel de la lumière. Comme un adieu… ou peut-être un simple “à bientôt”.


— Nous avons été changés, dit-elle doucement. Nous ne pourrons plus jamais voir l’univers comme avant.


Personne ne répondit. C’était une évidence. Ils avaient effleuré un mystère qui dépassait l’entendement humain, une conscience cosmique qui leur avait offert un fragment de son existence avant de les laisser repartir.


La traversée du seuil

Les moteurs ioniques vrombissaient à pleine puissance tandis que le Stella Argus s’engouffrait dans le corridor énergétique ouvert par la lumière. Le tunnel était instable, parcouru d’éclairs dorés, mais il tenait bon.


— Accrochez-vous, prévint Yara.


L’instant d’après, un dernier flash illumina la cabine. Un choc secoua la structure, puis une sensation d’expansion, comme si l’espace lui-même se distendait autour d’eux. Pendant une fraction de seconde, tous ressentirent une étrange douceur, un effleurement mental…


Puis, soudain, le vide.


Les alarmes se turent. L’environnement autour du vaisseau changea instantanément. L’obscurité familière de l’espace remplaça la lumière dorée. À travers les hublots, les étoiles étaient de retour, froides et distantes, et au loin, la nébuleuse de Carina flottait, immense et majestueuse.


— Nous sommes revenus, confirma Mira, la voix brisée par l’émotion.


Hayden consulta les instruments. Tout indiquait qu’ils étaient bien de retour dans leur propre réalité, au même endroit où ils avaient amorcé leur descente dans l’Horizon Lumineux.


— Aucun signe de l’anomalie derrière nous, précisa-t-il.


Naïra leva les yeux vers l’écran principal, où ne restait qu’un fond d’espace vide. Pas de trace du vortex. Pas d’éclats dorés. Juste la froideur cosmique habituelle.


Un pincement serra sa poitrine.


— C’est comme si elle n’avait jamais existé…


Mais tous savaient que c’était faux. Ils l’avaient vue. Ils l’avaient ressentie.


Le premier contact

Un grésillement interrompit leurs pensées.


— Stella Argus, ici Calliope. Vous nous recevez ?


L’équipage sursauta. Pendant un instant, ils avaient oublié que quelqu’un les attendait. Yara activa immédiatement le canal de communication.


— Calliope, ici le Stella Argus ! Nous vous recevons cinq sur cinq !


Un silence, puis une voix familière, celle du commandant Martinez.


— Stella Argus, bordel… Vous avez disparu des radars pendant presque douze heures. On vous croyait perdus. Que s’est-il passé ?


Un frisson parcourut l’équipage. Douze heures. Ils avaient eu l’impression de passer une éternité dans l’Horizon Lumineux, et pourtant, à l’échelle du Calliope, leur absence n’avait duré qu’une demi-journée.


Mira échangea un regard stupéfait avec Naïra et Hayden. Le temps ne s’était donc pas écoulé de la même manière de l’autre côté.


— C’est… une longue histoire, répondit Yara, la voix encore tremblante. Nous sommes sains et saufs, et nous avons des données à vous transmettre. Beaucoup de données.


Un silence s’installa de l’autre côté de la ligne, puis Martinez reprit d’un ton plus grave.


— Compris. Préparez-vous à l’amarrage. Vous avez l’air d’avoir vécu l’impossible… et j’ai le sentiment que ce que vous allez nous raconter va bouleverser tout ce que nous pensions savoir.


Personne dans la cabine ne put répondre immédiatement. Comment pouvaient-ils expliquer ce qu’ils avaient vécu ? Comment mettre des mots sur l’indescriptible ?


Ce qui demeure

Alors que le Stella Argus s’approchait de la station Hélios III pour son amarrage, chacun ressentait un vide étrange, un manque. Quelque chose en eux était resté là-bas, dans cette mer de lumière.


Naïra fixait l’obscurité de l’espace, espérant encore voir un dernier éclat doré, un dernier signe que l’Horizon Lumineux existait encore quelque part, prêt à s’ouvrir à nouveau à ceux qui oseraient s’y aventurer.


Mira, elle, se demandait combien de temps la Terre mettrait à comprendre ce qu’ils avaient vu. Est-ce que l’humanité était prête pour une telle révélation ?


Hayden effleura du doigt une des parois du vaisseau, là où les filaments lumineux s’étaient ancrés. Il lui sembla que la surface était légèrement plus chaude que le reste. Une illusion, ou un souvenir ?


Et Yara, d’ordinaire si pragmatique, se demanda si elle ne s’était pas trompée depuis le début. Peut-être que l’exploration spatiale n’était pas seulement une question de propulsion et de technologie. Peut-être que, parfois, l’univers exigeait d’être ressenti, et non seulement compris.


Alors que le Stella Argus s’arrimait enfin à la station, un dernier message flotta dans l’esprit de Naïra, une ultime résonance de la lumière. Un murmure, un adieu.


“Vous reviendrez.”


Et elle sut, avec une certitude absolue, que cette phrase n’était pas une supposition.


Elle était une promesse.


Chapitre 6 : Le Poids du Retour


1. L’accueil à bord d’Hélios III

Le Stella Argus s’arrima lentement à la station Hélios III. De l’autre côté du sas, une équipe médicale et des officiers de mission attendaient, l’air grave, comme si un équipage fantôme allait en émerger.


Lorsque la porte s’ouvrit enfin, le premier à apparaître fut la capitaine Yara Ossei. Son regard était fatigué, mais elle tenait debout, droite, comme un soldat de retour d’un front inconnu. Derrière elle, Mira Galen, Naïra Savel et Hayden Sullivan descendirent un à un la passerelle métallique.


— Mon Dieu…, souffla un technicien en voyant leurs visages.


Il y avait quelque chose d’étrange en eux. Ils semblaient présents, mais ailleurs à la fois, comme si une partie de leur être était restée au seuil de l’Horizon Lumineux.


Le commandant Martinez, responsable de la mission depuis Hélios III, s’avança. Il y avait du soulagement dans ses traits, mais aussi de la suspicion.


— Vous nous avez fait une sacrée frayeur, lança-t-il. Nous avons perdu votre signal pendant douze heures. Où étiez-vous, bon sang ?


La question résonna dans le sas d’embarquement comme une cloche d’église.


Yara échangea un regard avec Mira, puis avec Naïra et Hayden. Aucun d’eux ne savait par où commencer. Comment résumer l’indicible ?


— Il nous faut du temps, répondit simplement Yara.


Martinez fronça les sourcils, mais il comprit que ce n’était pas le moment de les brusquer.


— Très bien. On va vous faire passer une série d’examens. Si vous ressentez la moindre anomalie, vous devez nous le signaler immédiatement.


Ils hochèrent la tête en silence. Aucun d’eux ne voulait parler, pas maintenant. Parce que ce qu’ils avaient vécu… ne se racontait pas.


Ils quittèrent la zone d’amarrage sous les regards de l’équipage de la station, qui s’écartait sur leur passage comme s’ils étaient autre chose que des humains ordinaires.


Ils étaient revenus, oui. Mais aucun d’eux n’était vraiment rentré.


2. Les preuves et le scepticisme

La salle de débriefing d’Hélios III était plongée dans une atmosphère pesante. Assis face à une rangée d’officiers scientifiques et de membres du commandement, Yara Ossei, Mira Galen, Hayden Sullivan et Naïra Savel se tenaient droits, encore imprégnés des vestiges de leur voyage au sein de l’Horizon Lumineux.


Sur les écrans devant eux, les données enregistrées par le Stella Argus défilaient : relevés gravitationnels impossibles, pics d’énergie incohérents, fluctuations temporelles inexplicables. Chaque ligne de code semblait crier une vérité que personne, pas même les plus brillants esprits de la station, ne parvenait à comprendre.


Le commandant Martinez, les bras croisés, fixa les membres de l’équipage avec intensité.


— Vos instruments montrent que vous avez pénétré un champ d’énergie inconnu… mais nous n’avons aucun moyen de vérifier où vous étiez vraiment. D’après nos données, vous avez disparu de notre espace pendant douze heures, mais…


Il fit une pause et consulta un rapport.


— Vos propres journaux de bord indiquent une période bien plus longue. Vous prétendez avoir vécu plusieurs jours ?


Yara échangea un regard avec Mira. C’était plus compliqué que ça.


— Nous n’avons pas juste traversé un champ énergétique, déclara-t-elle d’une voix calme. Nous avons franchi un seuil.


Un murmure parcourut la salle. Certains des scientifiques échangèrent des regards sceptiques.


— Vous voulez dire… un portail ? Un accès vers une autre dimension ?


— Je ne sais pas, admit Hayden. Mais cet endroit défie toutes nos lois physiques. Nos capteurs n’ont pas pu le modéliser correctement.


Un des astrophysiciens présents dans la salle leva la main.


— J’ai analysé vos relevés… et honnêtement, une partie de vos lectures est incohérente. Vos appareils auraient pu être endommagés sous l’effet de la surcharge électromagnétique. Peut-être que vous avez simplement subi un phénomène hallucinatoire collectif dû à un état de privation sensorielle extrême.


Mira tressaillit légèrement. Elle s’attendait à cette réaction. Elle aussi, en d’autres circonstances, aurait peut-être douté.


— Nous n’avons pas rêvé, répondit-elle froidement. Nous avons vu quelque chose.


— Vu quoi exactement ? insista un autre chercheur.


Un silence s’étendit. Comment traduire l’expérience ? Comment expliquer l’instant où l’Horizon Lumineux avait “parlé” ? Où chaque membre de l’équipage avait senti son esprit entrer en contact avec une présence plus vaste que l’univers lui-même ?


Naïra Savel prit alors la parole, sa voix empreinte d’une étrange sérénité.


— Ce n’était pas juste un phénomène cosmique, dit-elle doucement. Ce que nous avons traversé… c’était un être.


Un frisson parcourut la pièce.


— Un être ? répéta Martinez, comme s’il voulait s’assurer d’avoir bien entendu.


— Ou une conscience, précisa-t-elle. Peut-être pas comme nous l’entendons. Mais elle était là. Elle nous a sentis.


Les murmures reprirent, plus forts cette fois. Certains visages se fermèrent, d’autres s’éclairèrent d’une fascination inquiète.


— C’est une interprétation, fit remarquer l’un des astrophysiciens, tentant de ramener la discussion à des bases scientifiques. Nous avons déjà observé des structures énergétiques auto-organisées qui peuvent donner l’impression d’une intelligence… mais ce ne sont que des phénomènes naturels.


— Ce n’était pas naturel, insista Hayden. Ce n’était pas indifférent à notre présence.


Martinez, visiblement tiraillé, se massa les tempes. L’équipage semblait sincère, mais leur récit…


— Même si nous vous croyons, lança-t-il enfin, même si nous admettons que vous avez rencontré quelque chose… alors qu’est-ce qu’elle voulait ?


Naïra inspira profondément.


— Elle voulait nous rencontrer.


Un silence absolu s’abattit dans la salle.


Tous avaient conscience que, si cela était vrai, alors l’humanité venait de frôler la plus grande révélation de son existence.


Mais le monde était-il prêt à l’accepter ?


3. Un équipage changé

Les jours qui suivirent leur retour furent étranges. L’équipage du Stella Argus ne pouvait plus voir le monde comme avant.


Ils avaient subi une batterie de tests médicaux. Résultats : aucune anomalie physique, aucun signe d’exposition à un agent pathogène ou à une radiation dangereuse. Mais quelque chose en eux avait changé, et cela ne pouvait pas être mesuré par des capteurs biométriques ou des scanners cérébraux.


Ils se voyaient eux-mêmes différemment. Leur regard sur l’univers n’était plus le même.


Mira Galen : La quête d’une vérité plus grande

Mira, d’ordinaire la plus rationnelle, se sentait perdue. Elle avait toujours cru en l’explication scientifique de toute chose, en la logique, en la causalité.


Mais dans l’Horizon Lumineux, elle avait ressenti une chose impossible à prouver : une présence, une intention, qui ne pouvait être réduite à une simple singularité astrophysique.


Le pire, c’est qu’elle se méfiait maintenant des chiffres. Les données étaient là, mais elles ne suffisaient plus.


— Comment expliquer l’inexpliqué ?


Elle commença à passer ses nuits à lire des théories marginales, à consulter des articles sur les modèles cosmiques alternatifs, à s’intéresser à des textes qu’elle aurait autrefois qualifiés de pseudo-science. Elle cherchait une nouvelle approche, un langage capable de décrire ce qu’ils avaient vu.


Mais ce qui l’inquiétait le plus… c’était son silence intérieur.


Depuis leur retour, elle ressentait un vide, une absence dérangeante. Là-bas, dans la lumière, il y avait eu un instant où elle avait compris — ou cru comprendre — quelque chose d’essentiel sur la nature de l’univers. Mais cette compréhension lui échappait maintenant, comme un rêve dont on ne se souvient plus qu’en fragments.


Et ce manque l’obsédait.


Naïra Savel : Le murmure persistant

Contrairement à Mira, Naïra n’avait rien perdu.


La lumière… lui parlait encore.


Elle le sentait parfois, tard dans la nuit, quand elle fermait les yeux. Ce n’était pas des mots, ni des images, mais un écho, un souffle qui effleurait son esprit.


— Vous reviendrez.


Elle savait qu’elle ne pourrait jamais reprendre une vie normale. Elle savait qu’un jour, elle retournerait là-bas.


Les scientifiques et les psychologues d’Hélios III tentaient de la sonder, cherchaient à comprendre pourquoi elle décrivait une « connexion résiduelle » avec l’Horizon Lumineux.


— Peut-être que votre cerveau tente simplement de donner du sens à un traumatisme extrême, lui disait-on.


Elle souriait. Ils ne comprenaient pas.


Ce n’était pas une illusion.


C’était une invitation.


Hayden Sullivan : La foi brisée du scientifique

Hayden avait été le plus sceptique, celui qui rejetait toute interprétation mystique de ce qu’ils avaient vécu.


Mais maintenant, il ne savait plus.


Son monde était bâti sur la physique, sur les modèles mathématiques, sur l’idée que l’univers pouvait être compris si l’on disposait des bons outils.


Mais l’Horizon Lumineux… avait balayé toutes ses certitudes.


— Et si nous n’étions pas prêts à comprendre ?


Il passait son temps à comparer leurs données avec les modèles connus, à essayer de trouver une équation qui décrirait l’impossible. Mais il savait au fond de lui que cela ne suffirait pas.


— Nous avons touché quelque chose qui nous dépasse.


Pour la première fois, il se demandait si la science seule ne suffisait pas.


Yara Ossei : La responsabilité du commandant

Yara était restée la plus pragmatique. Elle était capitaine, militaire dans l’âme. Son rôle n’était pas de philosopher, mais de prendre des décisions qui garantissaient la survie de l’équipage.


Mais même elle… même elle sentait le changement en elle.


Elle avait vu ses hommes se dissoudre dans la lumière. Elle les avait vus partager une expérience qui échappait au langage humain.


Et elle savait que l’humanité n’était pas prête.


Elle savait que si elle témoignait ouvertement de ce qu’ils avaient vécu, on la traiterait de folle.


Alors elle restait silencieuse. Elle cachait ce qu’elle avait ressenti derrière un masque de discipline et d’autorité.


Mais une nuit, seule dans sa cabine, elle se surprit à murmurer une question qu’elle n’aurait jamais osé poser avant.


— Qu’avons-nous réellement vu ?


Et pour la première fois… elle eut peur que la réponse lui échappe pour toujours.


Un équipage changé… et isolé

L’équipage du Stella Argus était revenu.


Mais aucun d’eux n’était vraiment rentré.


Ils étaient seuls avec leur vérité, car personne ne pouvait comprendre ce qu’ils avaient vécu.


L’univers qu’ils connaissaient leur paraissait maintenant trop petit.


Et dans l’obscurité de l’espace, au loin, quelque part au-delà de la nébuleuse de Carina, la lumière les attendait.


4. Révéler ou taire la vérité ?

Dans une salle de réunion austère d’Hélios III, un débat intense faisait rage. Assis autour de la table, des scientifiques de haut niveau, des commandants de mission et des responsables politiques examinaient les rapports du Stella Argus sous l’éclairage froid des projecteurs.


D’un côté de la table, Yara Ossei, Mira Galen, Hayden Sullivan et Naïra Savel attendaient. Face à eux, une série de visages graves et sceptiques, prêts à décider du destin de leur découverte.


Le commandant Martinez ouvrit la session.


— Après analyse des données et témoignages de l’équipage du Stella Argus, nous devons trancher sur une question capitale : faut-il rendre cette information publique ?


Un silence pesant suivit.


— Nous avons rencontré quelque chose, lança Hayden. Quelque chose qui dépasse l’entendement humain.


— Vous dites ça, rétorqua l’un des astrophysiciens présents, mais votre témoignage est basé sur des expériences subjectives. Rien ne prouve que l’Horizon Lumineux est autre chose qu’un phénomène naturel extrême.


Mira se redressa, frustrée par cette résistance obstinée.


— Nos instruments ont enregistré des anomalies inexplicables. Des fluctuations d’énergie et des distorsions du temps qui défient toute modélisation. Nous avons traversé un phénomène qui ne peut pas être réduit à un simple champ électromagnétique.


Martinez croisa les bras.


— Ce que vous proposez, c’est de dire à l’humanité qu’il existe une forme de conscience non humaine, non biologique, présente quelque part dans l’espace ?


— C’est exactement ça, confirma Naïra d’une voix posée.


Un brouhaha secoua la salle. Certains murmuraient entre eux, d’autres échangeaient des regards inquiets.


Un membre du Conseil de Mission se pencha en avant.


— Si nous diffusons cette information… les conséquences seraient incalculables.


— Pourquoi hésiter ? rétorqua Mira, indignée. Nous avons trouvé une preuve qu’une intelligence autre que la nôtre existe.


— C’est précisément pour ça qu’il faut réfléchir aux implications, intervint une autre voix.


Un autre scientifique, plus âgé, pris la parole :


— La Terre est en proie à des conflits politiques, à des tensions religieuses et sociales. Une révélation de cette ampleur… pourrait déstabiliser tout l’équilibre mondial.


— Il pourrait aussi évoluer, objecta Naïra. L’humanité est faite pour explorer. Nous avons toujours cherché à comprendre ce qui nous dépasse.


— Et si nous n’étions pas prêts ?


Cette phrase, lancée par un amiral du programme spatial, résonna comme un coup de tonnerre.


Tout le monde s’arrêta.


Hayden serra les poings. Il savait que cet argument pèserait lourd.


— Nous n’avons jamais été “prêts” à chaque découverte majeure, fit-il remarquer. Les premiers hommes qui ont regardé les étoiles ignoraient ce qu’ils voyaient. Ceux qui ont découvert que la Terre n’était pas au centre de l’univers ont été traités d’hérétiques. Et pourtant, nous avons progressé.


Martinez posa les mains sur la table, le regard lourd.


— La question n’est pas uniquement scientifique. C’est aussi une question de pouvoir. Que se passera-t-il lorsque les gouvernements comprendront qu’il existe une intelligence inconnue ?


— Ils voudront la contrôler, chuchota Mira.


Personne ne répondit. C’était exactement ça.


Le poids du secret

Après plusieurs heures de discussion, la décision tomba.


L’existence de l’Horizon Lumineux serait classifiée.


Seuls les plus hauts niveaux du programme spatial auraient accès aux rapports détaillés.


Le grand public ne saurait rien.


Lorsque cette conclusion fut énoncée, un froid glacial envahit la pièce.


Naïra secoua la tête, déçue.


— Cacher la vérité ne la fera pas disparaître.


Martinez se leva, posant une main sur son épaule.


— Nous ne la cachons pas. Nous la préservons… jusqu’à ce que nous soyons sûrs que l’humanité puisse l’accepter.


Mira sentit une vague de colère monter en elle.


— Nous avons touché l’infini, et vous voulez l’enfermer dans un rapport classifié ?


— Pour le moment, oui.


Hayden baissa la tête. Il comprenait la décision… mais il la détestait.


Yara, elle, était restée silencieuse. Lorsque tout le monde quitta la salle, elle souffla simplement :


— Ils ne comprennent pas ce qu’ils enterrent.


Naïra se tourna vers elle.


— Non. Mais un jour… quelqu’un forcera cette porte.


Elles échangèrent un regard. L’humanité ne pouvait pas fuir l’inconnu pour toujours.


Tôt ou tard… la lumière reviendrait.


5. La dernière vision et la promesse d’un retour

La décision avait été prise. L’existence de l’Horizon Lumineux serait classifiée.


L’équipage du Stella Argus avait signé des accords de confidentialité. Officiellement, leur mission s’était soldée par une “anomalie électromagnétique inexploitable”. L’histoire de la plus grande découverte cosmique de l’humanité venait d’être enterrée sous une bureaucratie implacable.


Mais la lumière ne pouvait pas être effacée si facilement.


Un adieu… ou un au revoir ?

Les jours passaient, et chacun tentait de reprendre une vie normale à bord d’Hélios III.


Mira Galen retournait aux calculs, mais chaque équation lui semblait creuse. Rien dans les modèles connus ne pouvait expliquer ce qu’ils avaient vu. La science, si puissante, lui semblait soudain… limitée.


Hayden Sullivan, autrefois fervent défenseur de la rationalité, se surprenait à fixer les étoiles en quête d’un signe. Il voulait y retourner. Il devait comprendre.


Yara Ossei, elle, ne parlait plus du voyage. Elle savait que l’univers cachait des secrets que l’humanité n’était pas prête à affronter. Mais au fond d’elle, une graine avait germé : la certitude que ce qu’ils avaient vu reviendrait un jour.


Et puis, il y avait Naïra Savel.


Elle savait que la lumière l’attendait toujours.


Le rêve partagé

La première nuit où l’équipage fut séparé, ils firent tous le même rêve.


Ils étaient de nouveau à bord du Stella Argus, flottant dans l’immensité dorée. L’Horizon Lumineux n’était plus une simple nébuleuse, mais une immense porte vibrante, s’ouvrant sur quelque chose d’encore plus vaste.


Dans ce rêve, ils n’étaient plus seuls.


Des formes luminescentes les attendaient.


Elles n’avaient pas de visage, pas de corps, et pourtant elles étaient là. Elles les observaient, avec patience.


Puis une voix, ou peut-être juste un souffle mental, les effleura.


“Vous êtes revenus… mais vous reviendrez encore.”


Un battement de cœur. Une vague de lumière.


Puis le noir.


Le dernier message

Naïra se réveilla en sursaut.


Son corps était sur Hélios III, mais son esprit était resté ailleurs. Elle se leva lentement, et se dirigea vers l’un des hublots de la station.


Là, dans l’obscurité infinie de l’espace, quelque chose scintillait.


C’était infime, presque imperceptible. Une pulsation faible, distante, comme un clin d’œil céleste.


Comme un appel.


Elle posa la main sur la vitre froide.


— Je sais.


Elle savait que ce n’était pas fini.


Ils avaient cru quitter la lumière… mais la lumière ne les avait jamais quittés.


Un jour, ils reviendraient. Ils n’auraient pas le choix.


L’univers leur avait ouvert une porte.


Et désormais, cette porte ne pourrait plus jamais se refermer.


Épilogue : L’ombre de la lumière


Un silence qui n’est qu’une attente

Le temps passa.


Après le retour du Stella Argus, la vie reprit son cours sur Hélios III et au sein du programme spatial. L’histoire officielle fut simple : une anomalie cosmique inexploitable, un incident sans conséquence scientifique majeure. Un silence bien orchestré.


Mais ceux qui avaient traversé l’Horizon Lumineux savaient que ce silence n’était qu’une illusion.


Ils avaient rapporté la lumière avec eux. Ils le ressentaient encore.


Un équipage dispersé… mais pas oublié

Les quatre explorateurs prirent des chemins différents, mais tous portaient en eux une marque invisible.


Mira Galen : L’obsession du savoir

Mira continua ses recherches. Officiellement, elle travaillait sur des projets d’astrophysique avancée, mais en secret, elle analysait les données résiduelles du Stella Argus.


Elle savait que les équations mentent parfois. Elle savait que la lumière n’était pas qu’un simple phénomène.


Ses nuits furent hantées par des souvenirs fragmentés, par des pulsations lointaines qu’elle ne parvenait pas à traduire en chiffres. Alors elle chercha ailleurs. Dans des théories marginales, dans des modèles encore incompris, dans des manuscrits où science et mysticisme se frôlaient sans jamais se toucher.


Elle savait que l’univers contenait des vérités que personne ne voulait voir.


Et elle était prête à les découvrir, coûte que coûte.


Naïra Savel : Le lien qui ne s’est jamais brisé

Pour Naïra, la lumière ne s’était jamais tue.


Dans ses moments de solitude, lorsqu’elle fermait les yeux, elle l’entendait encore.


Un écho.

Un murmure.

Une attente patiente.


Elle quitta le programme spatial peu après leur retour. Trop de protocoles, trop de barrières, trop de peur.


Elle partit sur Terre, loin des centres scientifiques, loin du bruit de la civilisation. Elle voyagea sans but précis, suivant une intuition profonde, cherchant un lieu où elle pourrait écouter plus clairement.


Car elle le savait.


Un jour, elle retournerait là-bas.


Et cette fois, elle ne serait pas une simple spectatrice.


Hayden Sullivan : L’homme qui doutait

Hayden disparut des radars.


Certains disaient qu’il avait pris un congé sabbatique, d’autres murmuraient qu’il avait été écarté par les autorités. Mais personne ne savait où il était allé.


Ceux qui avaient accès aux systèmes internes du programme spatial purent constater une chose étrange : avant de disparaître, il avait consulté des données classifiées.


Peut-être cherchait-il une autre anomalie, une autre porte.

Peut-être préparait-il quelque chose.


Ou peut-être… avait-il simplement eu trop peur de la vérité.


Yara Ossei : Le fardeau du commandant

Yara resta dans le programme, fidèle à son rôle. Elle savait obéir aux ordres.


Mais parfois, tard dans la nuit, elle revoyait la lumière.


Elle la sentait vibrer sous sa peau, résonner dans ses souvenirs.


Elle savait que cette mission n’était pas la fin.


L’univers avait ouvert une porte, et même si on tentait de la refermer, elle ne resterait pas close éternellement.


Le dernier message

Les mois passèrent. Le dossier Stella Argus fut archivé, classifié, oublié par ceux qui n’avaient pas ressenti la lumière.


Puis, une nuit, quelque chose se produisit.


Sur l’un des écrans de surveillance d’Hélios III, un signal apparut.


Un clignotement régulier.

Un rythme trop précis pour être naturel.

Un motif que Mira, Naïra, Hayden et Yara connaissaient parfaitement.


C’était le signal de l’Horizon Lumineux.


Mais cette fois… il ne venait pas de la nébuleuse de Carina.


Il venait d’ailleurs.


De plusieurs points à travers la galaxie.


La promesse d’un retour

Naïra leva les yeux vers le ciel nocturne, loin sur Terre, et sentit une vague d’émotion l’envahir.


Mira, encore dans son laboratoire, laissa tomber son stylo, le regard fixé sur l’écran.


Yara, en pleine réunion sur Hélios III, sentit un frisson glacé courir le long de son échine.


Hayden, où qu’il soit, avait déjà compris.


Vous êtes revenus… mais vous reviendrez encore.


La lumière n’attendait plus.


Elle appelait.


Et cette fois, elle n’appelait pas seulement eux.


Elle appelait l’humanité entière.


Fin ? Ou recommencement ?


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