La Montée des Ombres
La Montée des Ombres
Introduction : La lumière dans l’ombre
La vie est une quête constante d’équilibre. Nous marchons sur le fil tendu entre le besoin d’être aimé et celui d’être libre. Mais que se passe-t-il quand ce fil casse sous le poids des attentes des autres ? Quand chaque pas devient une concession, une négation de soi, au point que l’on finit par se demander si l’on existe encore réellement ?
Certaines personnes passent leur vie dans cette ombre, tentant d’apaiser tout le monde sauf elles-mêmes. D’autres, parfois par hasard, par besoin ou par instinct, osent faire un pas hors de cette obscurité. Mais ce pas n’est jamais simple : il exige un saut dans l’inconnu, une confrontation avec des vérités enfouies et des blessures refoulées. Il exige de gravir une montagne.
Cette histoire est celle d’Aléa, une jeune femme pour qui chaque jour a été une leçon de sacrifice et d’effacement. Mais lorsque les tempêtes extérieures l’entraînent sur le chemin des cimes, elle découvre que les véritables tempêtes sont celles qu’elle porte en elle.
Ce voyage, fait d’obstacles et de confrontations, n’est pas simplement une marche pour atteindre un sommet. C’est une traversée vers elle-même, un chemin où elle apprendra que dans l’ombre se cache souvent la lumière la plus éclatante.
Prologue : Les chaînes silencieuses
Le soleil déclinait sur les montagnes, plongeant le village dans une lumière dorée. Aléa était assise au bord de la rivière, les pieds trempant dans l’eau glacée. Le froid mordait sa peau, mais elle ne bougeait pas. Son regard était fixé sur son reflet, une image floue et instable troublée par le courant.
Elle ramassa une pierre plate et la lança sur l’eau. L’éclat soudain du ricochet fit disparaître son visage. Une pensée surgit, une qu’elle n’avait jamais osé formuler clairement :
"Et si je disparaissais ? Qui s’en rendrait compte ?"
La question était si soudaine qu’elle lui coupa le souffle. Elle la repoussa, comme on chasse un insecte agaçant, mais elle resta là, accrochée à ses pensées, insidieuse.
Elle se leva et frotta ses mains sur son tablier. Le poids des attentes des autres était presque tangible. Sa mère l’attendait pour réparer un pan de leur toit abîmé par la tempête. Sa voisine lui avait demandé de surveiller ses enfants. Et dans quelques heures, elle savait que son père reviendrait du champ avec un regard de reproche silencieux, celui qui disait : "Tu n’en fais jamais assez."
Alors qu’elle tournait le dos à la rivière, elle entendit un murmure derrière elle, porté par le vent :
"Et toi, Aléa ? Que veux-tu vraiment ?"
Elle se figea. Personne n’était là. Ce n’était qu’un souffle du vent, ou peut-être sa propre conscience qui, pour une fois, osait s’exprimer. Elle secoua la tête et reprit le chemin du village, comme pour fuir ce qu’elle ne voulait pas entendre.
Plus tard ce soir-là, en rentrant chez elle, sa mère l’accueillit avec un froncement de sourcils.
Mère : "Tu étais où ? Il y a des tuiles qui manquent sur le toit. Tu pensais que ça se réparerait tout seul ?"
Aléa ouvrit la bouche pour répondre, mais sa mère enchaîna avant qu’elle ne puisse dire un mot.
Mère : "Tu passes ton temps à rêvasser au lieu de te rendre utile. Tes frères étaient bien plus efficaces à ton âge."
Elle resta silencieuse, comme d’habitude. Il était inutile d’argumenter. Mais cette fois, quelque chose changea. Les paroles de sa mère lui semblaient lointaines, presque étouffées par une autre voix, celle qu’elle avait entendue plus tôt.
"Et toi, Aléa ? Que veux-tu vraiment ?"
Elle baissa les yeux et murmura :
"Je ne sais pas…"
Mère : "Quoi ? Parle plus fort. Arrête de marmonner."
Elle releva les yeux, le cœur battant, mais ne répondit pas. La question brûlait en elle, mais elle n’était pas prête à la formuler à voix haute. Pas encore.
Chapitre 1 : L’appel au sacrifice
Le matin suivant, les habitants du village se réunirent dans la place principale. Les visages étaient fermés, marqués par la tempête de la veille. Les dégâts étaient considérables : arbres arrachés, maisons endommagées, et surtout, le pont principal, leur unique lien avec le monde extérieur, avait été emporté par la crue.
Aléa se tenait à l’écart, observant les conversations qui s’agitaient autour d’elle. Chaque murmure portait la même inquiétude : comment allaient-ils survivre isolés ?
Le maire finit par prendre la parole, frappant du bâton sur une caisse en bois pour obtenir le silence.
Maire : "Quelqu’un doit se rendre au camp de secours dans les montagnes. Ils ont des vivres et des outils pour nous aider à reconstruire. Mais le chemin est dangereux, et la tempête a laissé des éboulis."
Un silence pesant s’installa. Personne ne voulait se porter volontaire. Les regards s’évitèrent, les pieds se fixèrent au sol comme enracinés. Puis, lentement, certains commencèrent à jeter des coups d’œil vers Aléa.
Une voix s’éleva.
Villageoise : "Aléa peut y aller. Elle est forte. Elle connaît bien les montagnes."
Aléa releva les yeux, surprise. Mais à mesure que les regards convergèrent vers elle, elle sentit une pression familière s’abattre sur ses épaules. Ce n’était pas la première fois qu’on la désignait sans lui demander son avis.
Maire : "Oui, Aléa. Tu es la mieux placée pour cette mission. On compte sur toi."
Elle chercha une excuse, un moyen de dire non, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle voyait les visages fatigués autour d’elle, les attentes muettes, et elle savait que, comme toujours, elle céderait. Elle hocha simplement la tête.
Aléa : "D’accord. Je partirai dès demain matin."
Un murmure de soulagement parcourut la foule. Quelques villageois s’approchèrent pour la remercier, mais leur gratitude sonnait creux. Ce n’était pas de la reconnaissance : c’était de la décharge. Une façon de se débarrasser du fardeau.
Le soir, alors qu’Aléa préparait son sac dans sa modeste chambre, une de ses amies, Irène, entra sans frapper.
Irène : "Tu pars vraiment ? Seule ?"
Aléa ne releva pas la tête.
Aléa : "Apparemment, je suis ‘la mieux placée’. Alors, oui, je pars."
Irène : "Mais c’est dangereux ! Pourquoi toi ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?"
Aléa (avec un sourire amer) : "Parce que c’est toujours moi. Parce que je ne sais pas dire non."
Irène s’assit sur le bord du lit, silencieuse. Elle jouait avec un bout de tissu, visiblement mal à l’aise.
Irène : "Tu pourrais refuser, tu sais. Personne ne peut t’obliger."
Aléa la regarda enfin, les yeux fatigués.
Aléa : "Et si je refuse, qui ira ? Toi ? Les autres ? Ils ne se porteront jamais volontaires. Ils savent que je finirai toujours par accepter."
Irène détourna le regard. Elle savait qu’Aléa avait raison. Mais avant de partir, elle murmura :
Irène : "Juste… fais attention à toi. Pas pour eux. Pour toi."
Ces mots résonnèrent dans la pièce bien après qu’Irène fut partie. Aléa resta assise, immobile, les mains serrées sur son sac. Pour elle-même. Cette idée lui paraissait étrangère, mais elle ne put s’empêcher de s’y accrocher, comme à un fil ténu.
Le lendemain matin, au lever du soleil, Aléa quitta le village, un sac sur le dos et une carte froissée dans la main. Les villageois lui avaient souhaité bonne chance, mais aucun d’eux ne l’avait accompagnée jusqu’au départ. Seule la rivière accompagnait ses premiers pas, son murmure lui rappelant les mots qu’elle avait entendus au bord de l’eau :
"Et toi, Aléa ? Que veux-tu vraiment ?"
Le chemin s’ouvrait devant elle, sinueux, brumeux, et déjà, les premières branches brisées jonchaient le sentier. Elle resserra la sangle de son sac et inspira profondément. Cette fois, il ne s’agissait pas seulement d’atteindre le sommet pour les autres. Elle avait un autre défi à relever : celui de se trouver elle-même.
Chapitre 2 : Les murmures de la montagne
Le sentier serpentait à travers une forêt dense. L’air était glacial, et la brume semblait s’accrocher aux arbres comme un voile fantomatique. Aléa marchait d’un pas régulier, son sac lourd sur les épaules. Elle fixait le sol, chaque pas une tâche à accomplir, mais son esprit vagabondait, emporté par le silence oppressant des montagnes.
Les premiers murmures intérieurs commencèrent doucement, presque comme un vent qui s’insinue sous une porte.
"Pourquoi fais-tu toujours ça ?"
Elle secoua la tête pour chasser la pensée, mais elle revint, plus insistante.
"Ils ne t’ont même pas remerciée comme il faut. Ils s’attendent juste à ce que tu sois là."
Elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle et leva les yeux vers la cime des arbres. La lumière du soleil filtrait à peine à travers les branches chargées de neige. Elle se surprit à murmurer à voix basse :
"C’est ma responsabilité… Si je ne le fais pas, qui le fera ?"
Mais sa propre voix sonnait creuse.
Après plusieurs heures de marche, elle arriva devant un pont de fortune qui devait traverser une gorge étroite. Mais la tempête avait tout détruit : les planches de bois avaient été arrachées, et seules quelques cordes pendaient encore. Le vide s’étendait devant elle, profond, glacé, et menaçant.
Elle s’assit sur une pierre, les jambes tremblantes, et sortit sa gourde. En buvant une gorgée, ses pensées reprirent :
"C’est impossible. Si je rebrousse chemin, ils diront que je n’ai pas essayé assez fort."
Une autre voix, plus douce, plus calme, surgit dans son esprit, différente de celles qui la hantaient habituellement :
"Et alors ? Tu as le droit d’échouer. Tu as le droit de dire que c’était trop."
Aléa fronça les sourcils, comme si quelqu’un venait de lui souffler ces mots à l’oreille. Elle regarda autour d’elle, mais elle était seule.
Aléa : "Je n’ai pas le droit d’abandonner."
Elle respira profondément et contourna la gorge, cherchant un autre chemin. Mais cette petite voix, celle qui lui donnait la permission de faiblir, refusait de s’effacer.
Le soleil commençait à disparaître derrière les crêtes lorsqu’Aléa trouva enfin une grotte pour s’abriter. Elle alluma un petit feu avec des brindilles ramassées en chemin et posa son sac contre la paroi rocheuse. Le silence de la montagne, brisé uniquement par le crépitement des flammes, était oppressant.
Elle ouvrit son carnet de notes, un vieux cahier qu’elle gardait toujours avec elle. Elle n’y écrivait presque jamais, mais ce soir-là, elle attrapa son crayon et traça quelques mots hésitants :
"Je me demande ce que ça fait, de vivre pour soi. Est-ce que ça fait peur ? Est-ce que ça fait mal ?"
Le crayon resta suspendu au-dessus du papier. Une larme roula sur sa joue, silencieuse, et s’écrasa sur la page. Elle laissa tomber le carnet et s’allongea contre la paroi froide.
Cette nuit-là, dans son sommeil agité, une vision lui apparut. Elle se tenait dans un champ de neige, seule, quand une silhouette sombre se matérialisa devant elle. L’ombre était floue, mais sa voix était claire, incisive.
Ombre : "Pourquoi continues-tu à marcher pour eux ? Ils ne voient même pas ton épuisement."
Aléa recula dans son rêve, le souffle court.
Aléa : "Je dois… Ils comptent sur moi. Je n’ai pas le choix."
L’ombre la regarda, silencieuse un instant, puis éclata d’un rire sec.
Ombre : "Pas le choix ? Tu dis ça pour te rassurer. Tu as toujours le choix. C’est toi qui refuses de le voir."
Elle se réveilla en sursaut, son souffle court. Le feu s’était éteint, et l’obscurité l’enveloppait. Ses pensées tourbillonnaient, mais une seule phrase restait claire dans son esprit :
"Tu as toujours le choix."
Au petit matin, le vent s’était calmé, mais quelque chose en elle restait agité. Alors qu’elle reprenait son sac pour continuer son chemin, elle ne put s’empêcher de murmurer :
"Et si j’avais le choix ? Qu’est-ce que je ferais ?"
La question la suivit tout au long du chemin, comme une ombre fidèle. Les montagnes, silencieuses et imposantes, semblaient l’observer, attendant une réponse.
Chapitre 3 : La confrontation avec l’ombre
La matinée s’étirait lentement, et chaque pas d’Aléa sur le sentier rocailleux semblait plus lourd que le précédent. La pente devenait plus raide, et l’air plus glacé. Pourtant, le véritable combat ne se passait pas dans ses jambes fatiguées, mais dans son esprit.
Les mots de l’ombre de son rêve résonnaient toujours en elle :
"Tu as toujours le choix."
Elle ne pouvait s’empêcher de les ressasser. À chaque fois qu’elle pensait à sa famille, au village et à leur dépendance envers elle, quelque chose en elle se rebellait. Pourquoi devait-elle porter tout ce fardeau ? Pourquoi n’avait-elle jamais osé dire non ?
Au détour du chemin, elle arriva face à une paroi abrupte. Le sentier semblait s’arrêter ici, et le seul moyen de continuer était d’escalader un mur de pierre glacée. Ses mains tremblaient rien qu’en regardant la hauteur. Elle recula d’un pas, cherchant une autre option, mais rien d’autre ne s’offrait à elle.
Aléa (murmurant) : "C’est trop… Je ne peux pas…"
La peur montait, mais avec elle, une voix plus familière. Celle qui ressemblait à celle de sa mère :
"Tu abandonnes ? Tu n’es pas assez forte, c’est ça ?"
Ses poings se serrèrent. Elle ferma les yeux, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Mais lorsque ses paupières se refermèrent, elle sentit une présence.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux à nouveau, l’ombre était là.
Elle se tenait juste devant elle, sombre et imposante, sa silhouette ondoyant légèrement, comme si elle faisait partie du vent. Mais ses yeux, deux points brillants, étaient fixés sur Aléa avec une intensité presque insupportable.
Ombre : "C’est là que tu arrêtes ? À la première vraie difficulté ?"
Aléa recula instinctivement, mais l’ombre ne bougeait pas.
Aléa : "Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi tu es là ?"
Ombre : "Moi ? Je suis toi."
Sa voix était calme, presque douce, mais teintée d’une autorité implacable.
Ombre : "Je suis la colère que tu caches, les ‘non’ que tu n’as jamais prononcés, la force que tu refuses d’utiliser. Je suis toi, Aléa. Celle que tu as enfouie depuis toujours."
Aléa détourna les yeux, mais l’ombre continua.
Ombre : "Regarde-moi. Tu es là, coincée devant cette paroi, paralysée. Et pourquoi ? Parce que tu crois que tu n’es pas assez forte. Mais qui t’a convaincue de ça ? Eux ? Ou toi ?"
Aléa (d’une voix faible) : "Je n’ai pas le choix. Je dois le faire pour eux."
L’ombre éclata d’un rire froid.
Ombre : "Encore cette excuse. Tu te caches derrière ce ‘je dois’ pour éviter de faire face à la vérité : tu ne fais rien pour toi. Tu ne vis que pour les autres. Et ça te détruit."
Aléa sentit les larmes monter, mais elle les refoula.
Aléa : "C’est égoïste de penser à moi. Si je ne les aide pas, qui le fera ?"
L’ombre s’avança, presque menaçante, mais ses paroles étaient calmes, tranchantes :
Ombre : "Et eux ? Quand est-ce qu’ils ont pensé à toi ? Quand est-ce que quelqu’un t’a demandé ce que tu voulais vraiment ? Tu te sacrifies pour eux, mais eux ne sacrifieraient rien pour toi."
Ces mots frappèrent Aléa comme un coup de poing. Elle voulut protester, mais au fond d’elle, elle savait que l’ombre disait la vérité.
L’ombre se détourna légèrement, désignant la paroi abrupte devant elles.
Ombre : "Cette montagne, Aléa, ce n’est pas juste une montagne. C’est toi. Chaque pierre, chaque obstacle, c’est ce que tu refuses d’affronter en toi-même. Tu as deux choix : tu grimpes et tu te découvres, ou tu fais demi-tour et tu continues à vivre pour eux."
Aléa serra les poings, le regard fixé sur la paroi. Elle entendait la voix de sa mère, celle du maire, celle des villageois qui comptaient sur elle. Mais, pour la première fois, une autre voix s’éleva, plus forte que les autres : la sienne.
Aléa (murmurant) : "Je veux vivre pour moi."
Elle n’était pas sûre d’y croire encore totalement, mais rien que le fait de le dire allégea un peu le poids sur ses épaules.
L’ombre s’approcha, tendant une main vers elle.
Ombre : "Alors grimpe. Et souviens-toi : je ne suis pas ton ennemie. Je suis ta force."
Aléa posa ses mains sur la paroi. Le froid mordait sa peau, et ses muscles criaient à chaque mouvement, mais elle continua. Chaque pierre qu’elle agrippait semblait hurler ses propres doutes :
"Tu n’es pas assez forte."
"Tu vas échouer."
"Ils te rejetteront."
Mais à chaque doute, une réponse montait en elle :
"Je peux essayer."
"Je suis capable."
"Je mérite d’exister pour moi-même."
Après ce qui lui sembla une éternité, elle atteignit enfin le sommet de la paroi. Elle s’effondra sur le sol glacé, le souffle court, mais un sourire naissait sur ses lèvres. Pour la première fois, elle avait gravi un obstacle non pour les autres, mais pour elle-même.
Alors qu’elle reprenait son souffle, elle sentit la présence de l’ombre à côté d’elle. Cette fois, elle n’avait plus peur.
Aléa : "Tu ne vas pas disparaître, n’est-ce pas ?"
L’ombre secoua la tête.
Ombre : "Non. Parce que je suis toi. Mais maintenant, tu sais que je suis là pour t’aider."
Aléa ferma les yeux, le vent glacial caressant son visage. Elle savait que d’autres épreuves l’attendaient, mais pour la première fois, elle se sentait capable de les affronter.
Chapitre 4 : Le saut dans l’inconnu
Le sommet qu’elle avait atteint n’était qu’une étape. Devant elle, la montagne continuait à s’élever, implacable. Mais quelque chose avait changé en Aléa. La fatigue était toujours là, le froid toujours mordant, mais un feu intérieur commençait à se raviver. Pour la première fois, elle n’avançait pas uniquement pour les autres. Chaque pas qu’elle faisait était un acte de rébellion douce contre les chaînes invisibles qui l’avaient maintenue captive.
Le sentier était désert, bordé de falaises escarpées et d’amas de neige fraîche. Le silence autour d’elle était presque assourdissant, et pourtant, en elle, une nouvelle agitation prenait forme. L’ombre n’avait pas reparu, mais ses paroles résonnaient encore :
"Je ne suis pas ton ennemie. Je suis ta force."
Pourtant, cette force ne lui semblait pas encore tout à fait naturelle. Elle doutait encore, vacillait entre cette énergie nouvelle et ses anciennes peurs.
Alors qu’elle avançait, son pied heurta un obstacle. Une pierre, partiellement enfouie sous la neige. Elle s’arrêta et la fixa. Ce n’était qu’un rocher, mais à ses yeux, c’était une métaphore de tout ce qui l’avait ralentie jusque-là : des obstacles petits, insidieux, mais toujours présents. Elle murmura pour elle-même :
"Je les dépasse. Un à un."
Elle ramassa la pierre et la lança dans le vide, écoutant le bruit sourd qu’elle fit en frappant le sol bien plus bas. Un poids qu’elle laissait derrière elle.
Au détour du sentier, Aléa se retrouva face à une rivière glacée. La surface était lisse et réfléchissait les montagnes comme un miroir. Le courant était invisible, mais elle pouvait entendre le grondement sourd des eaux sous la glace.
Un frisson parcourut son échine. Ce n’était pas seulement le froid. Cette rivière ressemblait trop à elle-même : calme et figée en apparence, mais pleine de turbulences cachées sous la surface.
Aléa (se parlant à elle-même) : "Tu ne peux pas toujours rester gelée… Tu dois avancer."
Mais comment traverser ? Elle examina les rives, cherchant une solution. Un tronc d’arbre s’étendait sur une partie de la rivière, mais il semblait fragile, prêt à céder au moindre mouvement. Pourtant, c’était son seul choix.
Aléa posa un pied sur le tronc, puis l’autre. Il oscillait légèrement sous son poids. Chaque pas était lent, calculé. Mais à mesure qu’elle progressait, le tronc craquait sous elle, émettant des bruits inquiétants. Au milieu, elle s’arrêta.
Un vent glacial souffla, et dans ce vent, elle entendit une voix familière, celle de sa mère :
"Si tu tombes, ce sera ta faute. Tu aurais dû faire demi-tour."
Aléa ferma les yeux. Elle pouvait presque sentir la honte s’insinuer, mais une autre voix s’éleva, plus claire, plus affirmée :
"Et si je tombe ? Alors je me relèverai."
Elle ouvrit les yeux, chassant les murmures de son passé, et fit un pas de plus. Le tronc céda brusquement sous son poids, mais elle bondit juste à temps, atterrissant sur la rive opposée. Elle roula dans la neige, le souffle coupé, mais elle éclata de rire.
C’était nerveux, presque hystérique, mais c’était un rire. Un rire de soulagement. Un rire de triomphe.
Alors qu’elle reprenait son souffle, un souvenir lui revint, clair comme de l’eau de roche. Elle était enfant, peut-être six ou sept ans. Elle courait dans les champs près du village avec un cerf-volant rouge qu’elle avait construit elle-même. Son père, toujours sévère et distant, lui avait dit :
"Ce cerf-volant est trop fragile. Il va se déchirer au premier vent."
Mais ce jour-là, il avait volé haut dans le ciel, défiant les prévisions de son père. Elle s’en souvenait comme si c’était hier : la fierté d’avoir créé quelque chose qui tenait, malgré les doutes qu’on avait projetés sur elle.
Assise sur la rive enneigée, elle murmura :
"Je suis toujours ce cerf-volant. Et je tiens bon."
Après plusieurs heures de marche, elle arriva devant son plus grand obstacle jusqu’à présent : une crevasse béante qui scindait le chemin en deux. Le vide semblait sans fond, et aucune passerelle, aucun tronc, aucun détour ne semblait possible. Le seul moyen de continuer était de sauter.
Elle s’approcha du bord, le cœur battant. Le vent hurlait dans la gorge de la crevasse, comme pour la mettre en garde. Elle recula instinctivement.
C’est alors qu’une fois de plus, l’ombre réapparut, juste à côté d’elle, immobile.
Ombre : "C’est ici que tu fais ton choix, Aléa. Rebrousse chemin ou saute. Mais souviens-toi : si tu sautes, ce n’est pas seulement ce vide que tu franchis."
Aléa : "Je… Je pourrais mourir."
L’ombre inclina légèrement la tête, un sourire en coin.
Ombre : "Ou tu pourrais vivre."
Aléa ferma les yeux. Les doutes l’assaillaient : Et si elle tombait ? Et si elle échouait ? Mais une autre question s’éleva en elle, plus puissante :
"Et si je réussis ?"
Sans attendre plus longtemps, elle recula de quelques pas, prit une grande inspiration, et courut. Le saut lui sembla durer une éternité. Elle s’éleva au-dessus du vide, portée par une force qu’elle ne comprenait pas encore tout à fait.
Elle atterrit lourdement sur l’autre rive, roulée en boule, les genoux éraflés. Mais elle était en vie. Et elle avait sauté.
L’ombre se tenait toujours là, souriant légèrement.
Ombre : "Tu vois ? Tu as toujours eu le choix."
Aléa hocha la tête, un sourire timide aux lèvres. Ce saut n’était pas seulement un passage physique. C’était le franchissement d’un cap intérieur, le début d’une nouvelle version d’elle-même.
Alors qu’elle reprenait son chemin, une pensée émergea doucement :
"Ce n’est pas la montagne que je gravis. C’est moi-même."
Chapitre 5 : La lumière intérieure
La neige devenait moins dense à mesure qu’Aléa s’élevait. Les pics imposants se détachaient sur un ciel d’un bleu éclatant. La tempête semblait loin derrière, et pour la première fois depuis son départ, elle sentit une certaine clarté, presque une légèreté dans l’air. Mais ce n’était pas seulement le paysage : quelque chose en elle avait changé.
Ses pas, bien que lourds, étaient plus assurés. Elle n’avançait plus seulement par devoir, mais avec une intention différente. Chaque pas sur ce sentier semblait un peu plus aligné avec ce qu’elle commençait à découvrir en elle : une force qu’elle avait toujours possédée, mais qu’elle n’avait jamais osé embrasser.
L’arrivée au camp
En début d’après-midi, elle aperçut enfin les premières tentes colorées du camp de secours. La vue lui arracha un soupir de soulagement. Mais à ce soulagement se mêlait une émotion inattendue : une hésitation. Maintenant qu’elle était là, que devait-elle faire ? Devait-elle simplement accomplir sa mission et redescendre au village comme si rien n’avait changé ?
Un homme s’approcha d’elle alors qu’elle entrait dans le camp. Il portait une parka épaisse, et son visage était marqué par les années passées dans ces montagnes.
Homme : "Tu viens du village au pied de la montagne ?"
Aléa hocha la tête, encore essoufflée.
Aléa : "Oui… Le pont a été emporté. Ils ont besoin d’aide."
L’homme l’invita à s’asseoir près d’un feu et lui offrit une tasse de thé chaud. Elle accepta avec gratitude, sentant la chaleur se répandre dans son corps gelé.
Homme : "Tu es montée seule ? C’est rare de voir quelqu’un faire ça."
Aléa hésita un instant, mais finit par répondre :
Aléa : "Oui. Ils… ils comptaient sur moi."
Il la regarda attentivement, comme s’il voyait à travers elle.
Homme : "Et toi ? Est-ce que tu comptais sur toi ?"
La question la frappa comme une pierre. Elle ne répondit pas immédiatement, fixant le feu devant elle. Les flammes dansaient, et dans leur mouvement, elle revit les obstacles qu’elle avait franchis : la paroi glacée, la rivière gelée, la crevasse. Elle se revit elle-même, tremblante mais décidée.
Aléa (murmurant) : "Je ne sais pas encore."
Après avoir expliqué la situation au camp et organisé l’envoi d’une équipe de secours au village, Aléa se retrouva seule dans une cabane en bois. C’était une petite pièce simple, mais l’air y était chaud et paisible. Pour la première fois depuis des jours, elle s’assit sans rien faire.
Elle sortit son carnet, celui qu’elle n’avait presque jamais utilisé, et commença à écrire :
"Je pensais que ce voyage était pour eux, mais peut-être qu’il était pour moi. Chaque pas m’a éloignée de ce qu’ils attendaient de moi, et pourtant… je me suis retrouvée."
Elle marqua une pause, regardant les mots inscrits sur la page. Une pensée lui vint, douce mais insistante :
"Et si j’avais le droit de choisir pour moi-même ? Et si ce n’était pas égoïste, mais nécessaire ?"
Elle referma le carnet et posa la tête contre le mur en bois. Une paix nouvelle l’envahissait, différente de tout ce qu’elle avait ressenti jusque-là. Ce n’était pas la paix de répondre aux attentes des autres, mais celle de se recentrer sur elle-même.
Le lendemain, alors qu’elle préparait son sac pour redescendre, l’homme qui l’avait accueillie au camp revint la voir.
Homme : "Tu as un long chemin devant toi. Es-tu prête à retourner là-bas ?"
Aléa s’arrêta, ses doigts suspendus au-dessus de la sangle de son sac.
Aléa : "Ils attendent mon retour. Je dois… leur apporter ce qu’ils ont demandé."
Il la regarda en silence, puis s’assit à côté d’elle.
Homme : "Tu sais, les montagnes ne te donnent pas seulement un chemin. Elles t’apprennent à choisir comment marcher. Tu n’es pas obligée de redescendre comme tu es montée."
Ses paroles la touchèrent profondément. Elle réalisa que le retour ne signifiait pas de tout reprendre comme avant. Ce qu’elle avait vécu, ce qu’elle avait affronté, tout cela l’avait transformée. Elle ne pouvait pas redevenir l’Aléa d’avant.
Aléa : "Je ne sais pas encore comment… Mais je sais que je ne serai plus la même."
Un dernier regard vers le sommet
Avant de quitter le camp, elle se retourna pour observer la montagne qu’elle avait gravie. La neige scintillait sous le soleil, et pour la première fois, elle n’éprouvait ni crainte ni fatigue en la regardant. Juste une profonde reconnaissance.
Elle murmura pour elle-même :
"Ce n’est pas la montagne que j’ai conquise. C’est moi."
Puis, elle tourna les talons et entama la descente, avec un nouveau feu dans le cœur.
Chapitre 6 : Le retour transformé
La descente de la montagne fut différente de la montée. Les obstacles semblaient toujours là – les chemins escarpés, la neige traîtresse, les bourrasques de vent – mais Aléa les affrontait avec une nouvelle force. Elle n’était plus intimidée par le terrain. Ses pas étaient fermes, et chaque mètre parcouru renforçait cette certitude naissante : elle ne reviendrait pas à l’Aléa qu’ils connaissaient.
Quand elle aperçut les premières maisons du village, son cœur s’emballa. Une partie d’elle redoutait ce qu’elle allait trouver. Les regards pleins d’attentes. Les demandes. Les reproches voilés. Mais une autre partie, plus forte, se sentait prête. Elle savait désormais qu’elle avait le droit de dire non.
L’accueil des villageois
Aléa entra sur la place centrale sous les regards surpris des habitants. Une petite foule s’amassa autour d’elle. Certains l’acclamèrent comme une héroïne, d’autres la pressèrent de questions :
« As-tu trouvé de l’aide ? »
« Combien de temps avant qu’ils arrivent ? »
« Tu as pris ton temps, non ? »
Les voix se superposaient, et pendant un instant, Aléa sentit l’ancienne pression revenir : ce besoin de répondre, d’apaiser, de tout gérer pour eux. Mais elle inspira profondément et leva la main pour imposer le silence.
Aléa (calmement) : « Ils viendront dans trois jours avec des vivres et du matériel. Ils savent ce dont nous avons besoin. »
Un murmure de soulagement parcourut la foule. Certains s’approchèrent pour la remercier, mais d’autres continuèrent à poser des questions.
Villageois : « Et toi ? Tu n’as pas ramené quelque chose directement ? Pourquoi ne pas être revenue plus vite ? »
Aléa planta son regard dans celui de l’homme qui venait de parler. Il y avait une époque où elle aurait baissé les yeux, où elle aurait tenté de se justifier. Mais cette époque était révolue.
Aléa : « Parce que je suis humaine. Et parce que je ne peux pas tout porter seule. »
Un silence s’installa. Certains la fixèrent, interloqués. Personne ne lui avait jamais entendu parler ainsi. Elle sentit des regards désapprobateurs, mais elle remarqua aussi des visages qui semblaient réfléchir, peut-être même comprendre.
Le soir même, de retour chez elle, Aléa trouva sa mère et son père assis à la table de la cuisine. Sa mère, comme toujours, fronça les sourcils dès qu’Aléa passa la porte.
Mère : "Tu es enfin revenue. Il y a des choses à réparer ici aussi, tu sais. La tempête a fait des dégâts, et ton père n’a pas pu tout faire seul. »
Aléa posa son sac dans un coin, s’assit calmement, et fixa sa mère.
Aléa : « Je suis montée sur cette montagne pour aider le village. Et je l’ai fait. Mais maintenant, j’ai besoin de temps pour moi. »
Sa mère éclata de rire, incrédule.
Mère : « Du temps pour toi ? Tu crois que c’est comme ça que ça fonctionne, Aléa ? On n’a jamais le temps pour soi. Il y a toujours quelque chose à faire. »
Son père resta silencieux, évitant son regard. Mais Aléa, elle, ne détourna pas les yeux.
Aléa : « Et c’est pour ça que tu es toujours en colère. Parce que tu n’as jamais pris le temps pour toi. Mais moi, je refuse de vivre comme ça. »
Sa mère ouvrit la bouche pour répliquer, mais rien ne vint. Aléa ne criait pas, ne se plaignait pas. Ses mots étaient calmes, mais lourds de vérité. Après un moment de silence, elle ajouta :
Aléa : « Je vais m’occuper de ce que je peux. Mais je ne porterai plus tout sur mes épaules. C’est à vous aussi de prendre vos responsabilités. »
Puis, elle se leva, laissant sa mère et son père seuls dans la cuisine.
Un changement discret mais profond
Dans les jours qui suivirent, les secours arrivèrent au village, apportant vivres et matériaux pour reconstruire. Aléa se porta volontaire pour aider, mais uniquement sur des tâches qu’elle choisissait. Lorsqu’on lui demandait d’en faire plus, elle répondait calmement mais fermement :
« Je ne peux pas. »
Cela provoqua des remous. Certains villageois la qualifièrent d’égoïste, d’autres d’irresponsable. Mais il y avait aussi ceux qui, en silence, commençaient à voir les choses autrement. Une jeune femme, inspirée par l’attitude d’Aléa, vint la voir un soir pour lui confier :
« Je crois que je comprends ce que tu fais. Moi aussi, j’aimerais pouvoir dire non parfois. Mais je ne sais pas comment. »
Aléa lui sourit, reconnaissant la douleur qu’elle avait elle-même portée.
Aléa : « Ça commence par un pas. Pas besoin d’aller vite, mais avance pour toi. »
Une dernière montée
Quelques semaines après les réparations, Aléa décida de retourner sur la montagne, seule. Cette fois, elle ne montait pas pour les autres, ni pour répondre à des attentes. Elle montait pour elle-même.
Elle atteignit la grotte où elle avait affronté son ombre. Les souvenirs revinrent en elle, mais ils ne lui firent plus peur. Avec un couteau, elle grava une phrase sur la paroi de pierre :
« Je ne suis pas née pour plaire, mais pour être libre. »
Elle sortit de la grotte et contempla le sommet au loin. Elle savait que son chemin ne s’arrêtait pas ici. Il y aurait d’autres montagnes à gravir, d’autres peurs à affronter. Mais désormais, elle se sentait prête.
Alors qu’elle redescendait, elle murmura pour elle-même :
« Ce n’est pas le sommet qui compte, mais la façon dont je choisis de marcher. »
Épilogue : Une lumière nouvelle
Assise sur la colline qui surplombait le village, Aléa laissait le vent caresser son visage. Les montagnes, majestueuses et immuables, se dressaient à l’horizon, baignant dans la lumière douce du crépuscule. Elle les avait gravies, et pourtant, ce n’était pas elles qu’elle avait conquises. C’était elle-même.
Elle tenait son carnet ouvert sur ses genoux. Les pages, griffonnées de phrases éparses, racontaient un voyage bien plus profond que celui qu’elle avait entrepris pour atteindre le camp. À présent, elle traça une ligne nette sur une page vierge et écrivit :
"Ce n’est pas la montagne que j’ai vaincue. C’est l’idée que je devais me perdre pour exister."
Elle s’arrêta un instant, le crayon suspendu dans l’air. Cette phrase lui semblait lourde de vérité. Elle pensa à tous ces moments où elle avait cru que son devoir était de répondre aux attentes des autres, où elle avait ignoré cette petite voix intérieure qui murmurait qu’elle méritait mieux. Mais cette voix était devenue un cri, puis une force.
Un nouveau regard sur le village
En contrebas, les lumières du village commençaient à s’allumer. Elle voyait les silhouettes des habitants vaquer à leurs occupations, réparer, reconstruire après la tempête. Elle ne ressentait plus ce poids qui avait autrefois pesé sur ses épaules, ce sentiment qu’elle devait tout porter pour eux. Désormais, elle savait que leur chemin n’était pas le sien.
Des pas dans l’herbe la firent sursauter. Elle tourna la tête et vit Irène, la jeune femme qui l’avait un jour confrontée sur ses choix. Irène s’approcha timidement, tenant un panier de pommes dans ses bras.
Irène : "Je me demandais où tu étais. Je t’ai apporté ça. Tu dois avoir faim."
Aléa sourit et prit une pomme du panier.
Aléa : "Merci."
Elles restèrent silencieuses un moment, observant ensemble le paysage. Puis, Irène brisa le silence :
Irène : "Je voulais te dire… Ce que tu fais, ça m’inspire. L’autre jour, j’ai dit non à ma mère. Elle voulait que je prenne en charge les enfants de ma sœur toute la journée. J’avais déjà promis d’aider quelqu’un d’autre. Alors, je lui ai expliqué que je ne pouvais pas."
Elle eut un rire nerveux, baissant les yeux.
Irène : "Elle n’a pas bien réagi. Elle m’a dit que j’étais égoïste. Mais pour une fois, je ne me suis pas sentie coupable. Je crois… Je crois que c’est grâce à toi."
Aléa sentit une chaleur douce envahir sa poitrine. Elle posa une main sur l’épaule d’Irène et dit doucement :
Aléa : "Dire non n’est pas facile. Mais ce n’est pas égoïste, c’est essentiel. Chaque pas compte, même le plus petit. Continue."
Plus tard ce soir-là, alors qu’elle rentrait chez elle, Aléa trouva sa mère assise sur le seuil de la maison, les mains jointes sur ses genoux. Le visage de sa mère semblait plus fatigué que d’habitude, mais ses yeux portaient une expression différente.
Mère : "Je t’attendais."
Aléa s’arrêta, surprise.
Mère : "Je voulais te dire… Je sais que je t’en ai beaucoup demandé. Trop, peut-être. C’est comme ça qu’on m’a élevée. Dans ma famille, on n’avait pas le droit de se plaindre, pas le droit de penser à soi. Je crois que je t’ai transmis ça."
C’était la première fois qu’elle entendait sa mère parler ainsi. Aléa s’assit à côté d’elle, laissant le silence s’installer avant de répondre.
Aléa : "J’ai compris que tu faisais de ton mieux. Mais je ne veux plus vivre comme ça. Je veux apprendre à penser à moi, même si ça dérange."
Sa mère hocha lentement la tête.
Mère : "C’est bien. Je suis fière de toi. Même si je ne sais pas encore comment t’aider."
Un sourire fugace passa sur les lèvres d’Aléa.
Aléa : "Tu n’as pas besoin de m’aider. Juste de m’accepter."
Un dernier retour à la montagne
Quelques jours plus tard, Aléa retourna sur la montagne. Cette fois, elle ne portait pas de sac, n’avait aucune mission à accomplir. Elle montait simplement pour elle-même. Elle atteignit la grotte où elle avait rencontré son ombre, et y entra en silence.
En sortant, elle s’assit sur un rocher près de l’entrée et contempla les pics enneigés. La lumière du soleil, douce et dorée, caressait les cimes, et elle sentit une paix profonde s’installer en elle.
Elle pensa à tout ce qui l’attendait encore – les défis, les choix difficiles, les critiques. Mais elle savait qu’elle pouvait les affronter. Elle savait qu’elle était assez forte.
Aléa retourna au village, mais elle n’était plus la même. Elle travaillait à son rythme, choisissait ses engagements, et osait dire non. Certains la critiquaient encore, mais elle n’avait plus besoin de leur approbation. Elle était en paix, non pas parce que le monde avait changé, mais parce qu’elle avait choisi de vivre selon ses propres termes.
Les montagnes continuaient de se dresser à l’horizon, mais cette fois, elles ne l’effrayaient plus. Elles lui rappelaient simplement qu’elle était capable de tout affronter – pourvu qu’elle reste fidèle à elle-même.
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