Voyages fictifs et liberté intérieure : J. Krishnamurti et l’univers de Zéphyr Avenel

 


Voyages fictifs et liberté intérieure : 

J. Krishnamurti et l’univers de Zéphyr Avenel

 

Avant propos

 

La question posée en ouverture du recueil Horizons de l’Infini – Trois Voyages au-delà du Connu donne le ton : « Et si l’humanité touchait enfin les frontières de l’univers… et de la conscience ? ». Zéphyr Avenel y explore les mystères de l’espace, du temps et de l’esprit à travers des récits où la science-fiction rencontre la métaphysique. À mi-chemin entre le voyage interstellaire et la quête intérieure, Horizons de l’Infini nous invite à reconsidérer notre place dans l’univers et les dimensions cachées de notre être.

 

Jiddu Krishnamurti (1895–1986) fut un philosophe et guide spirituel qui a consacré sa vie à l’exploration de la liberté intérieure. Dans son ouvrage majeur Se libérer du connu, il prône une véritable révolution de l’esprit. « Se libérer du connu, c’est entreprendre la seule révolution qui vaille : sa libération intérieure », affirme-t-il. Ce message invite à ouvrir les yeux de notre conscience et à ne plus accepter une chose comme vraie simplement parce qu’elle fait partie de nos conditionnements hérités. La pensée de Krishnamurti nous incite ainsi à questionner nos certitudes les plus ancrées et à accueillir les possibilités infinies qui émergent d’un esprit affranchi du connu.

 

Que vous soyez un lecteur fidèle de l’univers de Zéphyr Avenel ou un curieux qui le découvre à peine, cet avant-propos vous accueille et vous convie au voyage. La rencontre entre la plume de l’auteur et la pensée de Krishnamurti ouvre une porte sur l’inconnu, qu’il s’étende aux confins des étoiles ou qu’il repose au plus profond de soi. Dans l’article qui suit, laissez-vous guider à travers ces voyages fictifs qui résonnent avec la quête de liberté intérieure chère à Krishnamurti. Préparez-vous à embarquer pour une odyssée aussi cosmique qu’intime, et bon voyage au-delà du connu !

 

Sources :

 1.      Z. Avenel, Horizons de l’Infini – Trois Voyages au-delà du Connu.

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 2.      J. Krishnamurti, Se libérer du connu – Extrait de la présentation et résumé analytique.

 

Introduction : de la philosophie à la fiction, au-delà du « connu »

Jiddu Krishnamurti, dans Se libérer du connu, invite à une profonde révolution intérieure. Il affirme que la véritable liberté naît d’une dissolution du moi – ce moi qui n’est qu’un construit de mémoire et de pensées – et d’une émancipation par rapport aux conditionnements et au savoir accumulé. Pour Krishnamurti, l’esprit humain est prisonnier du « connu » (c’est-à-dire de tout ce qu’il a appris, de ses habitudes, croyances et expériences passées), ce qui l’empêche de percevoir la réalité de façon neuve. « La principale aliénation est le connu », explique-t-il, car « le connu et, plus généralement, la pensée, le mental, entravent la liberté ». Ainsi, seule l’affranchissement de ce connu – c’est-à-dire la capacité à voir sans les filtres du passé et du conditionnement – permet d’accéder à l’inconnu, à une compréhension directe et vivante du réel. En ce sens, Krishnamurti prône une approche non dogmatique et non dualiste : la vérité ne se trouve pas en adhérant à des croyances extérieures, mais dans une conscience libérée des divisions entre un « moi » illusoirement séparé et le monde.

Or, les trois nouvelles de Zéphyr Avenel – Les Veilleurs de l’Infini, Trace • Mémoire • Éther et L’Horizon Lumineux – forment justement « trois voyages au-delà du connu ». Publiées sur son blog, ces histoires de science-fiction et de spiritualité donnent corps, de manière poétique et imagée, aux concepts que Krishnamurti développe dans son ouvrage. À travers personnages et intrigues, Avenel fait vivre au lecteur l’expérience sensible d’une transformation de la conscience : on y voit des protagonistes confronter l’inconnu, se libérer de leurs certitudes, et entrevoir des états d’être non ordinaires évoquant l’éveil spirituel non-dualiste. La fiction devient un laboratoire où s’explore la dissolution des repères du moi et l’ouverture à une réalité plus vaste.

Dans l’analyse qui suit, nous mettrons en lien explicite chaque nouvelle avec les idées centrales de Se libérer du connu. Nous verrons comment les personnages, les péripéties et les symboles de ces récits reflètent ou prolongent la pensée de Krishnamurti : comment, par exemple, un explorateur spatial découvre les limites de son savoir face à une civilisation énigmatique, comment un homme opprimé par l’oubli forcé part en quête d’une mémoire libératrice, ou encore comment des scientifiques et des mystiques unissent leurs perspectives pour franchir un seuil cosmique et intérieur. À travers ces voyages fictionnels, c’est toujours l’esprit humain qui chemine vers la liberté : liberté vis-à-vis du conditionnement, dépassement de la peur de l’inconnu, et découverte d’une unité profonde entre la conscience et l’univers.

Les Veilleurs de l’Infini : voir au-delà des apparences et du moi conditionné

Dans Les Veilleurs de l’Infini, Zéphyr Avenel met en scène Ethan Kael, un navigateur spatial lancé dans une mission d’exploration qui va bouleverser toutes ses certitudes. Ethan appartient à « l’Ordre des Navigants », une organisation dédiée à la conquête et à la cartographie des mondes, avec une attitude typiquement impérialiste : « Depuis des millénaires, l’humanité levait les yeux vers le ciel avec une même obsession : comprendre, conquérir, posséder ». Conditionné par sa formation, Ethan aborde chaque planète avec un esprit analytique et utilitaire, cherchant des ressources ou des menaces potentielles conformément aux critères de son Ordre. Son identité est façonnée par ce rôle de conquérant rationnel – il est « un homme du savoir et de l’exploration », comme le dit le texte. En termes krishnamurtiens, on pourrait dire qu’Ethan est prisonnier du « connu » : il aborde l’inconnu de l’espace avec tous les préjugés, objectifs et modes de perception de l’esprit humain conditionné par la soif de domination et la confiance absolue dans la technologie.

Pourtant, sur la planète Aelya, Ethan rencontre une anomalie qui défie son entendement et l’amène à remettre en cause ce connu. Ses instruments scientifiques sont impuissants : malgré la présence évidente d’une civilisation (des habitants étranges l’accueillent), les scanners ne détectent aucune structure matérielle. Les Aelyans semblent vivre dans une cité invisible aux yeux et aux capteurs, une cité faite de pure lumière, de formes vibratoires que l’on ne peut percevoir qu’en abandonnant le mode d’observation habituel. Lorsqu’Ethan avoue « Je ne détecte rien », le guide aelyan lui répond simplement : « Ce que tu cherches ne se perçoit pas avec tes yeux ». Cette phrase résonne fortement avec l’enseignement de Krishnamurti : elle indique que la réalité profonde d’Aelya ne peut être appréhendée par les sens et l’analyse conventionnelle, enracinés dans le connu. Il faut un autre regard – un regard intérieur, libéré des filtres habituels – pour voir la vérité. En effet, le guide pose sa main sur la poitrine d’Ethan (au niveau du cœur) et provoque chez lui une sorte d’implosion intérieure, une expérience transformative : soudain, Ethan voit la cité de lumière. Son mode de perception bascule : libéré un instant de ses repères mentaux (ses instruments, son besoin de preuves tangibles), il accède à une réalité plus subtile.

La cité aelyane symbolise un état de conscience supérieur ou un niveau de réalité que l’humanité « aveuglée » ne peut normalement pas voir. Tout y est harmonie, absence de conflit et de pollution : « Aucune imperfection, aucune trace d’exploitation… comme si cette planète n’avait jamais connu ni guerre, ni industrie ». Les habitants eux-mêmes ont des yeux sans pupilles, « deux vastes océans opalescents », et communiquent par télépathie. Ils semblent vivre dans l’unité avec leur environnement, à l’opposé de la fragmentation et de l’agitation qui caractérisent l’humanité expansionniste. Lorsqu’Ethan demande : « Comment existez-vous ? », l’Aelyan répond : « Nous existons parce que nous sommes » – une formule simple qui rappelle la notion d’être pur, de conscience de soi sans le faire ni l’avoir, proche de certaines idées spirituelles non-dualistes (on pense au Je suis absolu).

Le dialogue culminant de la nouvelle explicite le parallèle philosophique : à la question d’Ethan « Qu’êtes-vous vraiment ? », les êtres de lumière répondent « Nous sommes ceux qui veillent. » – « Veillez sur quoi ? » – « Nous veillons sur ceux qui croient voir, mais qui sont encore aveugles. ». Cette dernière phrase est un miroir limpide de la condition humaine décrite par Krishnamurti. Les Aelyans se posent en gardiens bienveillants, observant l’humanité qui pense savoir et voir le réel, alors qu’en vérité elle est « aveugle » – aveuglée par son moi limité et ses connaissances superficielles. Krishnamurti ne disait pas autre chose lorsqu’il exhortait ses auditeurs à oublier tout ce qu’ils croient savoir et à regarder le monde et eux-mêmes sans l’écran des préjugés : « Oubliez tout ce que vous savez de vous-même… commencez comme si vous ne saviez rien ». Ethan, sur Aelya, fait l’expérience directe de cette cécité : « Tout ce qu’il connaissait… défiait cette logique. […] Tout ce qu’il savait du monde lui disait que cela ne pouvait pas exister. ». Il prend conscience, dans un mélange de frustration et d’émerveillement, de l’étroitesse de sa compréhension face à un phénomène qui outrepasse le cadre du connu.

La transformation d’Ethan illustre alors la dissolution du moi conditionné. Lui qui « n’avait jamais douté de sa mission » et se définissait comme un explorateur rationnel, se retrouve intérieurement ébranlé. Le récit indique qu’après cette rencontre, « il ne pouvait plus explorer sans voir l’illusion de l’humanité ». Il comprend que l’entreprise humaine de conquête spatiale reposait sur une illusion – sans doute celle de la suprématie du savoir technique et de la matière, ignorant les dimensions spirituelles. De retour dans son vaisseau, Ethan choisit de taire la vérité sur Aelya dans son rapport, conservant le secret de ce monde « trop grand pour être compris, mais trop puissant pour être oublié ». Son choix est de laisser Aelya « un monde oublié » par l’Ordre, préservé de l’intervention humaine. Cette décision peut se lire de deux façons, toutes deux reliées à Krishnamurti : d’une part, Ethan agit par intelligence et compassion, ayant saisi que révéler Aelya entraînerait sans doute sa colonisation ou sa destruction par ignorance – il protège donc un sanctuaire de vérité de la voracité du connu humain. D’autre part, il accepte que la compréhension d’Aelya ne peut être forcée sur l’humanité; chacun doit faire son propre chemin vers cette vérité. Ethan lui-même dit en partant : « Je reviendrai », et il « explore l’attente du jour où quelqu’un d’autre verrait enfin ce qu’il avait vu ». On retrouve ici l’idée qu’aucun enseignant extérieur ne peut libérer autrui : « Vous ne pouvez dépendre de personne. […] Il n’y a que vous – votre relation avec les autres et avec le monde » écrivait Krishnamurti. Ethan ne peut qu’attendre que d’autres ouvrent les yeux par eux-mêmes, quand ils seront prêts.

En somme, Les Veilleurs de l’Infini est une puissante métaphore de l’éveil de la perception. Avenel y traduit avec des images SF le message de Krishnamurti : nous vivons dans l’ombre de nos certitudes et de notre ego, tels des explorateurs sûrs de leur savoir mais aveugles à l’essentiel. La rencontre avec l’inconnu radical (Aelya et ses habitants de lumière) provoque une fissure dans cette armure mentale. Le personnage d’Ethan fait l’expérience du sacré – non pas au sens religieux dogmatique, mais en tant que réalité vivante et indescriptible qui transcende la pensée. L’ouverture à l’inconnu (ici littéralement un monde inconnu) l’oblige à se libérer du connu en lui (ses instruments, son langage, son référentiel) pour voir. Il en ressort humble, transformé, conscient de « l’illusion » de son ancien mode de vie, un peu à la manière d’un disciple à qui l’on aurait ôté les œillères. Le récit offre donc une expérimentation sensible de la dissolution du moi : le lecteur ressent avec Ethan le vertige de perdre ses repères, puis la plénitude silencieuse d’une réalité perçue sans filtre. Ce faisant, la nouvelle illustre les enseignements non-dogmatiques de Krishnamurti : la vérité est « ce qui est », à la fois immanente et au-delà des formes, et seuls le silence du mental et la lucidité peuvent la révéler.

Trace • Mémoire • Éther : l’oubli imposé et la révolution intérieure par la mémoire-vérité

La deuxième nouvelle, TRACE • MÉMOIRE • ÉTHER, déplace la réflexion du cosmos à la société dystopique, tout en poursuivant l’exploration des mêmes thèmes philosophiques. Ici, Avenel imagine un monde totalitaire où un pouvoir appelé l’Ordre Résonant contrôle totalement la population en effaçant la mémoire collective. Les individus vivent dans un présent perpétuel, amputé du passé ; l’Histoire elle-même est réécrite en permanence par l’Ordre. Cette situation extrême – la dystopie de l’oubli – est en réalité une représentation amplifiée de ce que Krishnamurti dénonce : nos esprits, modelés par l’éducation, la propagande et la répétition, vivent souvent prisonniers d’un présent illusoire fabriqué par le conditionnement, inconscients de la vérité de leur passé et de leur nature réelle. Ici, le conditionnement est poussé à son paroxysme : non seulement les citoyens sont manipulés, mais on les a vidés de tout souvenir pouvant nourrir une révolte ou même simplement une comparaison entre la situation actuelle et ce qui a été. L’Ordre applique littéralement la devise orwellienne : « Celui qui contrôle le passé contrôle l’avenir… », si bien que plus personne ne peut même imaginer une alternative au monde présent. On reconnaît là une idée que Krishnamurti aborde souvent : l’esprit encombré de conditionnements anciens ne voit plus d’alternative, il est piégé dans un cercle d’habitudes et d’autorité acceptée. Le régime de Trace a simplement rendu ce piège concret en supprimant toute trace mémorielle des alternatives.

Le protagoniste, qui se fait appeler Trace, est présenté initialement comme un homme ordinaire et docile, « un homme sans passé ». Il « n’avait jamais cru être différent. Il était un élément de l’Ordre, comme tous les autres. Il suivait les protocoles, il ajustait ses pensées pour maintenir la stabilité, il obéissait aux directives du Réseau Central ». Cette description souligne à quel point Trace est conditionné – il s’auto-conditionne même, en ajustant ses pensées pour rester conforme. Dans le vocabulaire de Krishnamurti, Trace est totalement identifié au moi social, prisonnier du connu que l’Ordre lui a inculqué. Mais le récit de Avenel, comme l’indique son titre, suggère trois étapes : TraceMémoireÉther. Ce cheminement va mener le personnage d’un état d’aliénation passive (Trace n’est qu’une « trace » de vie, un rouage sans histoire propre) vers un état de connexion profonde à un réservoir caché de vérité (l’Éther, qu’on devine être le lieu où subsistent les souvenirs effacés).

L’élément déclencheur de l’intrigue est l’apparition d’une anomalie dans la conscience de Trace : il voit mentalement « une couleur qui n’existait pas … un bleu impossible », un souvenir ou une image qui ne devrait pas être là. C’est en quelque sorte un éclat d’inconnu qui fissure sa réalité factice. Aussitôt, le système immunitaire de l’Ordre réagit : Trace est pourchassé comme une erreur par des drones. La scène de poursuite est éloquente : dans la ville, la foule alentour continue son train-train, « alignée, indifférente », sourde aux alarmes, car « lui seul était l’erreur ». Cette indifférence totale des autres symbolise l’inconscience collective, l’hypnose dans laquelle tout le monde est maintenu. Trace, en percevant un fragment de réel non censuré (cette couleur inconnue, métaphore d’un souvenir authentique), devient un éveillé parmi les endormis – un paria. On pense au mythe de la caverne de Platon ou à 1984 d’Orwell, mais aussi aux propos de Krishnamurti sur la société qui décourage l’éveil individuel : il disait en substance qu’être bien adapté à une société profondément malade n’est pas un signe de santé mentale. Ici, la maladie de la société est l’oubli organisé; Trace, en recouvrant une lueur de mémoire, devient « fou » aux yeux de cette société.

La fuite de Trace l’amène à basculer littéralement dans un autre niveau de réalité. Une voix lui murmure « Ouvrez les yeux » alors qu’il est sur le point d’être neutralisé, et soudain il se retrouve entre deux mondes : la ville « vacille », les gens autour de lui deviennent des silhouettes sans visage – la réalité connue se révèle illusoire, telle une simulation qui bug. Trace accède alors à l’Onde et à l’Éther, décrits comme « des espaces où subsiste ce qui a été effacé ». Autrement dit, il pénètre dans une sorte de mémoire cachée de l’humanité, un réservoir invisible où les souvenirs (et possiblement les âmes ou la culture perdue) continuent d’exister malgré la censure de l’Ordre. Sur le plan symbolique, l’Éther évoque un plan de conscience plus vaste, comparable à l’inconscient collectif de Jung ou à l’Akasha des traditions spirituelles – un lieu hors du temps où rien ne se perd vraiment.

Ce qu’entreprend Trace n’est pas une révolution armée traditionnelle, mais ce que le texte appelle une « ligne de fuite ». Avenel cite explicitement Gilles Deleuze : une ligne de fuite n’est pas une confrontation frontale avec le système, c’est une échappée, une ouverture vers « exister autrement ». Cette idée rejoint la stratégie non-violente et non-dualiste qu’implique l’enseignement de Krishnamurti : plutôt que d’entrer en conflit direct (ce qui reste dans le jeu du connu, de la violence, de l’opposition d’ego à ego), la vraie révolution est intérieure, c’est un changement de niveau de conscience. Trace ne cherche pas à renverser l’Ordre par les armes, il s’échappe du cadre imposé en retrouvant la mémoire – en retrouvant la vérité de ce qui a été effacé. C’est en cela un passeur, plus qu’un guerrier : son rôle est d’ouvrir un passage vers un autre monde (l’Éther) où les autres pourront à leur tour se réveiller. On peut y voir l’écho de la mission des Veilleurs de la première nouvelle, ou même des éveillés dans l’enseignement spirituel : revenir porter témoignage de la vérité à ceux qui sont prisonniers de l’illusion.

Le climax de Trace • Mémoire • Éther survient lorsque la mémoire revient brusquement dans la population : c’est une véritable expérience collective d’éveil. Une « vague » d’émotions submerge la foule, des fragments du passé resurgissent en chacun – par exemple un vieil homme se souvient qu’une fresque colorée existait là où il ne voyait qu’un mur gris. La réaction oscille entre la peine (« Pourquoi nous avez-vous menti ? » crie quelqu’un) et la colère, plongeant la cité dans le chaos. Cette scène illustre à la fois la douleur de l’éveil – la souffrance de découvrir qu’on a vécu dans le mensonge – et l’espoir d’une libération. Elle correspond en termes krishnamurtiens à cette secousse nécessaire quand la vérité de soi refait surface. Krishnamurti écrivait que nous devons mourir à nous-mêmes et à tout notre passé d’illusions pour naître libre et neuf : c’est exactement ce qui arrive aux citoyens ici, de façon brutale. Leur ancien « moi » social, construit par l’Ordre, se disloque dans les larmes et les cris, et ils doivent confronter l’inconnu (qui est en fait le réel qu’on leur avait caché).

Le personnage de Kael – un officier de l’Ordre présent dans la foule – est particulièrement intéressant par son nom (clin d’œil probable à Ethan Kael des Veilleurs, comme un alter ego dans ce monde) et son dilemme. D’abord, Kael tente mécaniquement de calmer la foule en répétant la propagande (« L’Ordre maintient l’équilibre »), mais sa voix sonne creux et il doute. Lorsqu’un collègue veut tirer sur la foule pour réprimer, Kael réalise que « cette ville avait déjà été perdue… il y a bien longtemps ». Ce moment marque le basculement de Kael du côté de la vérité : il comprend que la vraie catastrophe était l’asservissement des esprits, bien avant l’émeute actuelle. Cette prise de conscience rejoint la critique radicale que Krishnamurti fait de nos sociétés : pour lui, la violence et le chaos extérieur sont le reflet de la confusion intérieure accumulée. La ville de Trace était depuis longtemps perdue en ce sens qu’en effaçant le passé, l’Ordre avait détruit quelque chose d’essentiel de l’âme humaine. Maintenant, cette destruction intérieure se manifeste extérieurement par le chaos. Kael, lucide, incarne l’individu au pouvoir qui s’éveille moralement et ne peut plus participer à la répression aveugle.

La nouvelle ne s’achève pas sur un renversement simpliste du régime, mais sur une fin ouverte. Avenel souligne que ce n’est « pas une simple rébellion », mais « une mutation » : « la mémoire ne détruit pas le présent, elle le transforme ». En d’autres termes, le retour des souvenirs n’a pas pour but de venger le passé mais de transfigurer la réalité présente en la réintégrant dans la vérité. C’est une vision très proche de celle de Krishnamurti qui propose une transformation de l’être plutôt que des révolutions violentes. La société entrevoit la possibilité de se reconstruire sur d’autres bases, une fois l’illusion dissipée. Certes, le récit pose des questions non résolues (« Peut-on affronter la mémoire sans se perdre soi-même ? »), reflétant ainsi la difficulté de l’entreprise. Trace, qui a joué son rôle de catalyseur, est-il encore le même individu après avoir traversé l’Éther ? Probablement pas – son moi ancien s’est dissous dans cette confrontation au Tout des souvenirs, mais il a gagné en échange une identité plus vaste, fondée sur la connaissance de la vraie histoire et la connexion à l’humanité entière via l’Éther. Ceci rappelle fort le processus de dissolution du moi dont parle Krishnamurti : « Le moi n’est pas une entité permanente, mais un courant », et l’on peut émerger de la perte de l’ancien moi avec une conscience renouvelée, dégagée du temps psychologique.

Enfin, Trace • Mémoire • Éther traduit de manière très concrète la notion de liberté par rapport au conditionnement. Au début, Trace et tous les citoyens sont littéralement des automates conditionnés, privés de liberté intérieure. À la fin, ils recouvrent la mémoire, c’est-à-dire la vérité de leur condition, et avec elle la possibilité du choix, de la révolte, de la créativité. Le récit est ainsi une allégorie de l’éveil spirituel selon Krishnamurti : prendre conscience de ses conditionnements (ici, l’absence de passé imposée par l’Ordre) est le premier pas vers la libération. Une fois conscient, on n’obéit plus aveuglément – la population de la nouvelle, en se souvenant, cesse d’être docile. Toutefois, la nouvelle montre aussi les douleurs de l’éveil (peur, colère, désorientation), là où Krishnamurti insiste sur la nécessité de faire face à ces choses sans fuir. L’Ordre, qui représentait l’autorité extérieure, s’effondre quand son mensonge est exposé, de même que Krishnamurti invite chacun à ne plus donner d’autorité aux gourous, aux traditions, une fois qu’on a vu par soi-même la réalité. En somme, par son intrigue dystopique, Avenel offre une parabole puissante : notre liberté tient à un fil de conscience – il suffit qu’une étincelle (une trace de vrai) survienne pour que l’esprit trouve la force de briser ses chaînes, non par violence, mais par lucidité. La nouvelle, tout en restant non-dogmatique (elle n’assène pas de morale prédigérée, elle pose des questions philosophiques ouvertes), prolonge ainsi l’enseignement krishnamurtien : la vraie révolution est silencieuse, intérieure, et elle consiste à retrouver par l’attention ce qui a toujours été là (ici symbolisé par l’Éther où tout ce qui est effacé demeure présent). C’est une célébration de la mémoire au sens profond : non pas la mémoire conditionnée qui nous enferme, mais la mémoire vive de la vérité, qui nous libère.

L’Horizon Lumineux : communion avec l’inconnu et unité de la conscience cosmique

La troisième nouvelle, L’Horizon Lumineux, élargit encore la perspective en mêlant explicitement science, exploration spatiale et quête spirituelle. D’entrée de jeu, Avenel y évoque la confluence du savoir scientifique et du sacré : quelque part dans les étoiles s’est ouvert un mystérieux phénomène, une « Porte Lumineuse », que d’aucuns pressentent comme « la manifestation d’une réalité plus vaste, à la croisée de la science et du sacré ». Les légendes l’appellent l’Horizon Lumineux, et le présentent comme « une invitation faite aux âmes audacieuses, prêtes à s’élever au-delà de tout ce qu’elles croyaient connaître ». Ce contexte résume parfaitement le lien avec Krishnamurti : aller au-delà de tout ce qu’on croit connaître est quasiment une définition de la libération du connu. Les « âmes audacieuses » évoquent ceux qui ont le courage de quitter la sécurité de leurs certitudes pour affronter l’inconnu – ce que Krishnamurti considère comme essentiel pour découvrir la vérité.

L’intrigue suit un petit groupe hétéroclite – des scientifiques (Mira, Hayden, etc.), une mystique (Naïra), et une capitaine de vaisseau (Yara) – qui décide de répondre à l’appel de cet Horizon Lumineux. Très vite, le récit souligne que leur voyage sera autant intérieur qu’extérieur : traverser l’inconnu spatial implique aussi un « cheminement intérieur, car la traversée de l’inconnu n’épargne ni l’esprit ni le cœur ». Avenel explicite ici un principe cher à Krishnamurti : le monde extérieur et le monde intérieur ne sont pas séparés, toute exploration cosmique est aussi une exploration de soi. D’ailleurs, l’introduction de la nouvelle se conclut par une phrase qui pourrait figurer dans un enseignement spirituel : « Puissiez-vous sentir l’écho de ce qui nous pousse tous à tendre la main vers la lumière – cette curiosité profonde d’aller au-delà de nos frontières intérieures, et ce sentiment secret qu’il existe un endroit où l’homme, l’univers et la conscience ne font qu’un. ». Cette idée que l’homme, l’univers et la conscience ne font qu’un est un énoncé explicite de non-dualité. Krishnamurti, sans employer exactement ces termes, a souvent indiqué que lorsque l’ego conditionné se tait, l’observateur et la chose observée ne sont plus séparés, et l’on fait l’expérience d’une unité avec le tout. La phrase d’Avenel rejoint également la célèbre déclaration de Krishnamurti : « Vous êtes le monde et le monde est vous ». On voit donc qu’avant même d’entrer dans le récit, la nouvelle place sur la table les notions de dépassement du moi, d’ouverture à l’inconnu et de conscience universelle.

Le périple de L’Horizon Lumineux se déroule en plusieurs phases, correspondant aux chapitres aux titres évocateurs : L’Appel, Le Pèlerinage, La Traversée et la Transformation, La Communion ou le Renoncement, Le Poids du Retour. Cette progression narrative épouse un schéma initiatique qui n’est pas sans rappeler celui de maintes quêtes spirituelles. Dans L’Appel, l’équipe perçoit des signaux inexpliqués dans la nébuleuse de Carina et décide de s’aventurer vers leur source malgré le scepticisme ambiant. On peut y voir une analogie avec l’appel de l’inconnu que ressent quiconque s’engage dans une démarche intérieure – ce moment où l’on pressent qu’au-delà de la routine du connu, il y a quelque chose d’immense à découvrir, même si l’entourage (les « hautes instances » scientifiques dans le récit) freine ou craint cette impulsion. Les protagonistes, mus par leur « curiosité profonde » et un mélange de foi et de soif de connaissance, incarnent cette audace de chercher par soi-même dont parle Krishnamurti (il encourage chaque individu à être une lumière pour soi-même, sans attendre la permission des autorités).

Lors de La Traversée, le Stella Argus (leur vaisseau) franchit l’Horizon Lumineux et pénètre dans une zone inconnue où toutes les lois ordinaires semblent abolies. La description insiste sur le vertige qu’ils ressentent : un silence absolu, une « pénombre dorée » irréelle où ils ne reconnaissent plus aucune étoile, ni aucun repère spatial ou temporel. Les instruments du bord deviennent fous ou muets ; l’équipage éprouve nausée et désorientation. Cette plongée rappelle beaucoup les témoignages mystiques de la nuit obscure ou de l’état méditatif profond : lorsque l’on va au-delà du connu, il arrive un moment où l’on perd ses points d’ancrage, où le mental ne peut plus cartographier l’expérience. Krishnamurti décrit parfois la véritable méditation comme un état où le temps et la pensée s’arrêtent, ce qui est figuré ici par les horloges du vaisseau qui s’affolent et l’incapacité à déterminer s’ils sont encore dans notre dimension. L’équipage se retrouve en quelque sorte dans le néant fertile de l’inconnu, symbolisé par cet « océan inconnu » de lumière dorée.

C’est alors que se pose le dilemme central, dans La Communion ou le Renoncement. Les protagonistes comprennent qu’ils ne peuvent pas rester indéfiniment dans cet entre-deux : soit ils tentent un retour en arrière en réparant le vaisseau, soit ils avancent encore plus loin vers la lumière au risque de tout perdre. Ce choix cornélien représente la décision intérieure entre la peur de l’inconnu (et le désir de revenir à la sécurité du connu) et l’abandon confiant à l’expérience transcendante. La capitaine Yara incarne la voix prudente, technique, qui voudrait forcer un retour ; à l’opposé, Naïra, la mystique, suggère que la solution pourrait être « intérieure » plutôt que technique. Elle fait remarquer que la force lumineuse qui les environne « n’a pas cherché à nous détruire, elle a cherché à communiquer ». On retrouve ici un thème clé de la spiritualité : l’idée que le sacré (ou l’inconnu) n’est pas hostile, qu’il s’offre à nous pour peu que nous abandonnions nos résistances. Krishnamurti encourageait à aborder l’inconnu sans peur ni projection, avec une confiance lucide. Naïra propose justement d’écouter l’appel de la lumière plutôt que de lutter contre elle. Cette divergence crée un débat dans l’équipe : rationnel contre intuitif, contrôle contre lâcher-prise. C’est en réalité le débat entre le mental conditionné (qui veut revenir en terrain familier) et l’esprit ouvert (qui perçoit la possibilité d’une transformation plus grande). Finalement, il semble que l’équipage opte pour la communion : ils décident de s’approcher davantage de la lumière, avec tous les risques que cela comporte.

Le moment de la fusion – terme utilisé dans le texte – est le point culminant du récit. Avenel décrit comment, en un clignement, les personnages se sentent « arrachés à leur perception du temps » tandis que la lumière les investit. Ils rencontrent « l’entité » lumineuse et « la laissent exister en eux », ce qui en retour leur donne la clé pour regagner l’espace normal. Cette scène figure de manière poignante la notion de communion mystique ou d’expérience d’unité. En acceptant de fusionner avec la lumière, l’équipage vit un état où la séparation sujet/objet s’abolit : la conscience humaine et cette entité cosmique ne font plus qu’un instantanément. C’est l’illustration littérale de ce que Krishnamurti pourrait appeler l’union de l’esprit individuel avec l’immensité de la vie (même s’il n’employait pas le langage théiste d’« entité », l’idée d’une intelligence cosmique n’était pas étrangère à sa vision d’une conscience universelle lorsque le moi se tait). Ici, les personnages franchissent un seuil intérieur : en abandonnant leur moi (leurs peurs, leur volonté de contrôle), ils reçoivent en eux quelque chose de beaucoup plus vaste. Cette expérience les transforme irréversiblement.

La question que pose Avenel après cette communion est très révélatrice : « Pouvaient-ils désormais retourner à leur ancienne vie ? ». La réponse implicite est non – ou du moins, pas sans difficulté. Cela rappelle la question finale des Veilleurs de l’Infini où Ethan savait qu’il n’explorait plus le cosmos de la même façon après Aelya. De même, après avoir goûté à l’unité avec la lumière, les personnages de L’Horizon Lumineux ne seront plus jamais les mêmes. Krishnamurti dirait que lorsqu’on a vu la vérité, on ne peut plus retourner au mensonge des vieilles habitudes sans une profonde douleur. Et justement, Le Poids du Retour (dernier chapitre) s’attache aux conséquences de cette odyssée : l’équipage revient dans le monde ordinaire (la Terre), mais doit convaincre les autres de la réalité de ce qu’il a vécu. Mira, la scientifique, se retrouve à défendre des données incroyables face à la communauté, et rencontre incrédulité et agitation. La société réagit par la peur, les rumeurs, les fantasmes apocalyptiques sur ce phénomène inconnu. Cet épilogue souligne la tension entre l’expérience directe du réel qu’ont eue les protagonistes et la difficulté de la traduire dans le langage du connu pour autrui. Là encore, on peut faire un lien avec Krishnamurti lui-même : il disait souvent que ses paroles ne sont que des indicateurs et qu’on ne peut transmettre l’éclairage intérieur que par le vécu. Mira et ses compagnons possèdent un savoir vivant (mêlé d’une transformation intérieure), mais ils font face à la rigidité des institutions et du public. L’Horizon Lumineux, pour l’instant, reste pour la plupart un concept abstrait, débattu et récupéré dans les médias, alors que pour les voyageurs c’est une réalité indiscutable qui a ébranlé leur être. On retrouve l’opposition entre le connu partagé (collectif) – ici sous forme de théories scientifiques ou de panique irrationnelle – et l’inconnu vécu (individuel) que seuls ceux qui ont fait le pas peuvent comprendre.

En définitive, L’Horizon Lumineux propose la vision la plus positive et synthétique des trois nouvelles. C’est une véritable allégorie de l’éveil non-duel. Les protagonistes ont dû faire preuve de dépassement de soi, en surmontant leur peur de l’inconnu et en laissant de côté leurs « certitudes cartésiennes » pour tenter « l’impossible ». Ils ont fait l’expérience que la frontière entre « soi » et « le monde » est mentale : en s’ouvrant à la lumière, ils ont réalisé l’unité de la conscience et du cosmos, ne faisant plus qu’un seul flux énergétique avec l’entité cosmique. Cette expérience est conforme à ce que vise Krishnamurti quand il parle de vider la conscience de son contenu pour qu’émerge un mouvement total de perception. La lumière dorée, métaphoriquement, c’est ce mouvement total – certains y verront l’image de la conscience universelle, d’autres de la vérité ou de la vie elle-même. Notons que la nouvelle demeure ouverte et non dogmatique : Avenel ne dit jamais « c’est Dieu » ou « voilà la signification exacte de la lumière ». Chacun peut y projeter son interprétation (phénomène quantique inconnu, intelligence extraterrestre, manifestation du divin, etc.). C’est en cela que l’approche rejoint Krishnamurti : il n’impose pas de théorie métaphysique, il incite juste à constater et à vivre les choses intensément par soi-même.

Par ailleurs, L’Horizon Lumineux valorise l’alliance de la raison et de l’intuition. Le fait que l’équipe comporte des savants et une mystique indique qu’il faut peut-être les deux ailes pour ce vol vers l’inconnu. Krishnamurti, bien qu’iconoclaste vis-à-vis des religions, n’a jamais opposé intelligence et sensibilité spirituelle ; au contraire, il parlait d’une intelligence née de la sensibilité totale. Dans la nouvelle, ce n’est qu’en conjuguant l’analyse (Mira tente d’enregistrer des données) et l’écoute intérieure (Naïra ressent l’intention de la lumière) qu’ils parviennent à communiquer avec l’entité. Ce message implicite – le besoin d’une approche intégrale de la réalité, à la fois rationnelle et ouverte au mystère – est très proche de la démarche de Krishnamurti qui intégrait observation scientifique de soi et ouverture méditative.

En conclusion de cette partie, L’Horizon Lumineux fait vivre au lecteur une expérience poétique de l’illumination. La nouvelle permet de ressentir la beauté et la majesté de l’inconnu (ces vagues de lumière dorée palpables, ces « chants stellaires » qu’entrevoit l’un des personnages) tout en abordant les enjeux concrets : vais-je avoir peur et faire demi-tour, ou lâcher prise et m’élancer ? Le récit répond en faveur de l’abandon confiant – et trouve, dans cet abandon, le salut (la clé pour rentrer sain et sauf leur est donnée grâce à la communion, non en dépit d’elle). C’est là une transposition fidèle des enseignements non-dualistes : lorsque l’ego renonce à sa soif de contrôle, on gagne en fait infiniment plus, on s’aligne avec l’ordre cosmique. Krishnamurti parlait de « l’immensité » qui ne peut venir que dans un esprit vidé du moi. Les personnages qui se vident de leurs appréhensions accèdent effectivement à l’immense – puis reviennent en porter témoignage, assumant ensuite le défi d’éveiller les autres à leur tour. L’Horizon Lumineux montre donc, en termes imagés, qu’oser l’inconnu transforme et unit, tandis que rester enfermé dans le connu maintient la division et la peur. Cette nouvelle clôt ainsi le triptyque d’Avenel en apothéose, en peignant la réalisation de cette unité indicible que Les Veilleurs de l’Infini laissaient entrevoir et que Trace • Mémoire • Éther préparait à travers la destruction créatrice du faux.

Conclusion : la fiction comme miroir de l’éveil

À travers ces trois voyages fictionnels, Zéphyr Avenel propose une véritable expérience complémentaire à la lecture de Krishnamurti. Là où le philosophe indien utilise le verbe pour bousculer nos schémas mentaux, Avenel utilise le récit, le symbole et l’émotion pour toucher directement notre sensibilité. Personnages et intrigues deviennent des miroirs dans lesquels nous pouvons reconnaître nos propres attachements et nos propres aspirations à la liberté intérieure. Ethan Kael, c’est l’humanité qui croit voir avec ses instruments scientifiques et ses théories, mais qui passe à côté de l’essentiel tant qu’elle n’a pas ouvert « l’œil du cœur ». Trace, c’est chacun de nous pris dans les rets d’une société de l’oubli et du divertissement, jusqu’au jour où une trace de vrai vient réveiller notre soif de sens et nous pousser hors de la caverne. Mira, Naïra et leurs compagnons, ce sont ces chercheurs en chacun – la raison et l’intuition – qui doivent collaborer pour percer le mystère de l’être et s’y fondre.

Les nouvelles de Avenel offrent ainsi une mise en situation concrète des notions de Krishnamurti : on y ressent la peur du vide quand le connu s’effondre, on y entrevoit la fulgurance de la beauté et de la vérité quand le moi se dissout ne serait-ce qu’un instant, et on y palpe les résistances du mental face à l’inconnu (que ce soit les doutes d’Ethan, l’hésitation de Yara, ou la terreur des citoyens découvrant leur passé confisqué). Chaque récit propose aussi une issue profondément krishnamurtienne : non pas des conclusions fermées, mais des ouvertures – une attente confiante, une mutation en cours, une question laissée à la conscience du lecteur. Avenel, comme Krishnamurti, ne délivre pas de dogme, mais invite à la réflexion et à l’éveil.

En fin de compte, le lien entre les deux approches – l’approche philosophique de Krishnamurti et l’approche littéraire de Z. Avenel – se trouve dans cette injonction commune : « Ouvrez les yeux. » Que ce soit la voix dans la tête de Trace ou la voix de Krishnamurti dans Se libérer du connu, le message est le même. Nos yeux physiques et nos yeux de l’esprit ont été obscurcis par des années de conditionnement, de peurs et de désirs inculqués. Mais il est possible de tout remettre en question, de regarder sans idées préconçues, et de pénétrer ainsi un monde infiniment plus vaste – un monde d’émerveillement, de liberté et d’unité. Les nouvelles de Avenel nous font sentir, par la puissance de l’imaginaire, la saveur de cette liberté. Elles prolongent les enseignements non-dualistes de Krishnamurti en montrant que, par-delà le connu, nous attend une autre façon d’être au monde – plus lucide, plus vaste et plus lumineuse. C’est une véritable odyssée intérieure que ces fictions proposent, en écho à la voix du sage qui nous chuchote que le vrai voyage commence en nous-mêmes, lorsque nous osons poser un regard neuf sur la vie.

Sources : Les textes intégraux des nouvelles de Z. Avenel sont disponibles sur son blog personnel (posts de février-mars 2025) : Les Veilleurs de l’Infini, Trace • Mémoire • Éther et L’Horizon Lumineux. Les citations de J. Krishnamurti sont tirées de Se libérer du connu et d’entretiens, traduits en français : voir par exemple Krishnamurti Foundation et le blog Chez Krishnamurti. Ces références soulignent les correspondances profondes entre l’œuvre de Krishnamurti et l’imaginaire de Zéphyr Avenel.


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